Archives de catégorie : Dans la vraie vie

« Vivre avec le virus »

La première fois que j’ai entendu « il va falloir apprendre à vivre avec le virus », c’était avant le premier confinement de mars 2020. Ma généraliste me conseillait (en consultation physique à l’époque, sans masques) de reprendre mon immunosuppresseur pour ma maladie inflammatoire articulaire, malgré mon infection virale pulmonaire du moment. On avait très vite conclu que ce n’était pas le coronavirus parce que je toussais depuis beaucoup trop longtemps (3 mois).« Il y a beaucoup de virus qui respiratoires qui traînent en ce moment », m’avait-elle dit, « vous en avez probablement enchaîné plusieurs ». J’avais très peur de reprendre mon immunosuppresseur parce que quand on l’avait introduit au tout début de mon infection pulmonaire, 3 mois auparavant, j’avais cru mourir des poumons. J’avais donc décidé que pesaient plus lourd dans la balance mes poumons que ma maladie inflammatoire articulaire.

J’avais bien peur aussi du fameux nouveau coronavirus, parce que je trouvais que j’avais déjà enchaîné un paquet de virus respiratoires en 3 mois. Alors j’avais trouvé ma généraliste bien cavalière avec son « apprendre à vivre avec le virus ». Puis, je m’étais dit : « Non mais c’est normal, elle a le recul nécessaire du Docteur ». Je m’étais dit qu’« apprendre à vivre avec le virus », c’était continuer de soigner les autres maladies en fait. C’était aussi s’adapter, oser, prendre des mesures nécessaires même fortes, ne laisser personne de côté. Je l’avais trouvée grave stylée ma MG.

Puis pendant les 4 mois qui ont suivi, il y a eu, le tiers de la planète confiné, les pays où les dirigeants se comportaient plutôt comme des autruches, les pays où les dirigeants se comportaient plutôt -d’après moi – comme des humains raisonnables. Et, pendant les 4 mois qui ont suivi, la phrase « vivre avec le virus » est ressortie d’autres bouches que celles de ma MG, de plein de bouches, de toutes les bouches en fait.

Les plutôt humains raisonnables qui prenaient des mesures fortes disaient « c’est ça vivre avec le virus », sous-entendu, on va souffrir un peu un temps, et ensuite sans le virus, on sera bien.

Les plutôt autruches qui ne prenaient aucune mesure disaient aussi « c’est ça vivre avec le virus », sous-entendu, on va continuer de vivre normalement, on sera bien.

Et là j’ai commencé à flipper. J’ai imaginé que « vivre avec le virus »  ça pouvait peut-être vouloir dire « il va falloir s’habituer aux morts ». Je me suis dit que c’était impossible. J’étais parano, c’était immoral, c’était cracher au visage de l’éthique, c’était mépriser son prochain, c’était se foutre des vieux, des faibles, de tous, bref, j’étais parano. Le monde c’était pas ça, j’exagérais.

On arrive 1 an après le « vivre avec le virus » de ma MG adorée. On l’entend encore dans plein de bouches.

Les hôpitaux sont saturés. On a déprogrammé plein de gens. Le virus est devenu nosocomial même avec les masques. On n’isole pas les soignants quand ils sont positifs.

J’écris depuis la France. Y a des pays où c’est vraiment mieux, y a des pays où c’est vraiment pire.

Aujourd’hui, en France, y a, je sais même plus combien, allez 300 morts par jour. Aujourd’hui la « bonne situation », ce serait 5000 cas par jour. J’arrive pas à y croire. J’ai l’impression d’avoir changé de dimension. De vivre dans ma paranoïa.

Je sais qu’il y a des gens qui ne veulent pas toute cette mort.

Mais il y aussi plein de gens qui disent avoir « appris à vivre avec le virus » et en être fiers. Mais quelle belle preuve de résilience ! Pour eux, « apprendre à vivre avec le virus », c’est bien devenu apprendre à accepter tous ces morts. Nos proches, nos moins proches, des gens célèbres, des inconnus, des vieux, des jeunes, de tout en fait. C’est comme ça. C’est une pandémie. C’est une fois tous les 100 ans. Faut bien continuer de vivre.

« Vivre avec le virus », cette phrase ne cessera de me torturer, jamais.
L’entendre, c’est chaque fois une petite mort en moi, toujours.

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Je fais des petits pipis, toujours des petits pipis

Je suis la pisseuse de Paris
La meuf qu’on croise et qu’on regarde faire pipi
Y a du coronavirus sur la Terre
Drôle de misère
Pour tuer l’envie de pipi je fais cachée tout au fond
Des gros pipis tous ronds

Eh oui dans des recommandations pourries y a écrit
Que les toilettes doivent être fermées aux pipis
Pendant ce temps alors je fais la zouave
Entre deux épaves
Paraît que y a pas de sot comportement
Moi je pisse dehors je peux pas faire autrement.

Je fais des pipis, des petits pipis, encore des petits pipis
Des petits pipis, des petits pipis, toujours des petits pipis
Des pipis de seconde claaaaaaasse
Des pipis de première claaaaaaasse
Je fais des pipis, des petits pipis, encore des petits pipis
Des petits pipis, des petits pipis, parfois des gros pipis
Des petits pipis, des gros pipis,
Des petits pipis, des gros pipis

Je suis la pisseuse de Paris
Les toilettes sont fermées pissez donc ici
Nous vivons en société sur notre belle planète
Mais peu importe j’ai dans la tête
Une sacrée envie de pipi
Et je la soulage dans la rue en catimini

Et regardant mon pipi d’infortune
Je vois briller le coulis sur le bitume
Parfois je rêve je divague
Je vois des toilettes ouvertes
Et dans la grisaille de la ville verte
Je vois des portes de toilettes s’ouvrir et me sourire

Pour me sortir de ce pipi qui m’asservit
Des petits pipis, des petits pipis, toujours des petits pipis
Mais les responsables des toilettes fermées se taillent
Et je vois que ma vessie qui n’en peut plus déraille
Et je reste dans ma rue à faire des petits pipis
Des petits pipis, des petits pipis, parfois des gros pipis
Des petits pipis, des gros pipis,
Des petits pipis, des gros pipis

 

Ouvrez-les toilettes !!!

PS : ça marche aussi avec caca

PPS : les autres aussi en parles : My Little Paris newsletter du 4 mars 2021

PPPS : sinon pour oublier un peu tout ça : Le poinçonneur des Lilas

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La charge mentale

Je prends un médicament A toutes les 2 semaines. 2h avant la prise de ce médicament, je dois prendre un autre médicament B.
Je prends un autre médicament C toutes les 2 semaines, mais à une semaine de distance du médicament A. 2h avant la prise de ce médicament C, je dois prendre le médicament B.
Je prends un médicament D une fois par semaine.
Je prends un médicament E tous les jours sauf le jour où je prends le médicament D.
Je prends un médicament F immédiatement au lever. Ensuite je dois reprendre ce même médicament F 4h après la première prise de F, puis encore un autre comprimé de ce médicament F, 4h après la deuxième prise.
Je prends un médicament G 30 minutes avant chaque repas, et au minimum 2h après un repas.
Je prends un médicament H toutes les 6 semaines.
Je prends un médicament I tous les matins, environ 2h après le réveil.
Je prends les médicaments J, K, L, M, N tous les soirs.
Je prends les médicaments O et P tous les jours pendant 25 jours puis je fais une pause de 3 jours et je les reprends.
Je prends le médicament Q matin et soir.
Je prends le médicament R matin midi et soir, à au moins 5 minutes de distance avec le médicament Q.
Si besoin, je peux prendre les médicaments S, T, U le soir, soit environ 2 fois par semaine.
Je dois toujours avoir sur moi les médicaments V, W, X en cas d’urgence.

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Pourquoi signer la pétition pour un nouveau calcul de l’AAH

Bon, c’était une histoire banale d’amoureux. Ma copine Justine, IMC, en fauteuil depuis toujours, me parle de ce garçon, qui d’abord était censé juste être payé pour l’aider dans sa vie de tous les jours. Ma copine Justine est étudiante, et il arrive souvent que des étudiants (valides) fassent ces petits boulots d’aide à la personne pour participer à financer leurs études. Justine payait sa ribambelle d’étudiants à son service grâce aux aides de la MHPD, de la CDAPH, de…je sais plus trop. Elle gérait comme une véritable petite entreprise cet argent destiné à ses employés. Et pour ses frais de vie à elle, y avait une allocation adulte handicapé, maigre mais tant pis.

C’était un beau brun, Julien. Regard ténébreux, classique mais efficace, je le croisais à chaque fois qu’on se voyait avec Justine. Il l’accompagnait pour qu’elle passe du bon temps avec moi, puis il venait la chercher quand on se quittait. C’est vrai qu’il était…lumineux. Le genre de personne qui te marque. Moi aussi j’avais l’impression d’être un peu amoureuse de lui. Moi aussi, parce que Justine l’était. Et c’était réciproque. Son ange gardien lui avait fait une déclaration à demi-mot, perdu entre la réserve imposée par son devoir professionnel, déboussolé par les sentiments amoureux qui font tourner la tête de n’importe quel humain.

Le temps a passé. C’était toujours la même distance entre Justine et Julien. Et moi je me gardais bien de me mêler de leurs choix de vie respectifs. Julien a fini par finir la fac. Bac +5, avec la diplomite que le marché adore maintenant, il a vite trouvé un job, 1700 nets mensuels. Maigre surtout en région parisienne, mais tant pis. C’est là que vivait Justine. Il n’était plus à son service, mais ne voulait pas s’éloigner d’elle.

Le temps passait encore. Je voyais une Justine triste, qui s’accrochait aux études, mais comme cela semblait difficile. Trouver un logement adapté où l’on pouvait aller à la fac en bus ou bien par les seules 2-3 lignes de métro accessibles aux fauteuils. Ne pas aller en cours les jours de pluie. Ne pas aller en cours quand l’ascenseur de l’amphi ne fonctionne pas. Ne pas trouver de stage obligatoire. Bref, dans ma tête Justine roulait avec son nouveau fauteuil tactile qu’elle avait payé en partie de sa poche, dans un désert aride où personne ne la voyait, et où elle ne voyait pas une oasis à l’horizon.

Un jour, je décide de lui reparler de Julien, pour voir. Il avait pris un appartement accessible exprès pour elle. Il lui avait offert un pendentif, puis une bague. « Ce n’est pas une demande en mariage » avait-il précisé délicatement. Julien aussi était malheureux, alors. Il voulait vivre avec ma copine Justine. Et c’était réciproque. Naïve, moi, je déroule alors à Justine un discours sur la confiance en soi, la difficulté pour tout le monde de sauter le pas, les avantages de la vie à deux, et blablabla. Je vois l’oasis pour Justine, elle va être heureuse enfin.

« – Je vais perdre mon AAH.
– Tu vas perdre quoi ?!
– Si je vis en couple avec Julien, je n’aurai plus droit à mes 900 euros d’AAH. J’ai trop besoin de cet argent. Il a payé en partie mon nouveau fauteuil, il paiera le suivant… »

Justine m’explique que son droit à l’AAH, son AAH si précieuse, est calculé à partir des revenus du couple quand on vit en couple. Son Julien gagnant 1700 euros nets, elle perdrait son AAH. Elle avait espéré pourtant qu’il trouve un emploi moins bien payé…Mais tant pis  pour elle et tant mieux pour lui, avait-elle dit. « C’est pareil pour nous tous, de toute façon ».

Sidération.

Aujourd’hui, une pétition est en ligne sur le site du Sénat pour envisager de réétudier ce mode de calcul. Ce mardi 12 janvier, 55% seulement de l’objectif de signatures a été atteint. Il manque 44331 signatures pour que peut-être quelque chose change ; il reste 57 jours pour que peut-être quelque chose change.

Pour Justine, pour Julien, pour les autres, pour tous en fait, SIGNONS !

 

Pour suivre l’avancée des chiffres : le compte twitter dédié objectifautobot ici
À écouter aussi : le billet de Nicole Feronni du 9 décembre 2020

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Les zones de confort

Bon, hier, joli dimanche d’hiver, rayons chatoyants du soleil couchant…Non je rigole, je vais pas dire chatoyant, c’est pas dans ma zone de confort.

Donc hier, pour la première fois depuis 2 ans, je sors courir. J’ai repris il y a quelques semaines, du fractionné 30 secondes/30 secondes pendant 2 minutes, puis 3, puis 4 ; les gens se disaient « ah ben tiens les voilà de retour les joggeurs du confinement 2 ».

2 ans sans courir, dont 1 an de béquilles, un peu de fauteuil. 2 ans de douleurs, de fonte musculaire, de kinésithérapie, d’efforts, de lassitude, d’impatience, de colère, de tristesse. Dans ma tête tout ça. Pas écrit sur mes baskets.

Donc hier, j’ai couru 20 minutes d’affilée, comme un escargot, mais un escargot qui monte à 180 pulses quand même. Je me suis fait doubler par tous les joggeurs du coin, ils devaient se dire « pfff mais elle laisse tomber, qu’elle choisisse un autre sport et surtout qu’elle arrête de manger ahahaha ». J’avais de l’adrénaline de partout, j’avais envie de serrer tout le monde dans mes bras, de sauter à l’envers, de faire des figures de Yamakasi.

Et puis à la fin des 20 minutes, je m’arrête, je marche, je récupère. Je contrôle mon cardio, ça descend bien, je kiffe ma life. Y a toujours du soleil qui me chatoie, j’ai toujours envie d’embrasser tous les promeneurs, de lever les bras en l’air comme les sportifs font quand ils gagnent la coupe là.

Et soudain, v’là ti pas qu’un petit malin vient briser ma rêverie marchante : « Eh oh vous là, je vous ai vu vous arrêter !! » me alpague-t-il. « Je vous ai vu là courir puis vous arrêter, c’est pas bien ça, faut sortir de sa zone de confort, faut arrêter de procrastiner » poursuit-il, binouze à la main, ti oinj au bec, oklm.

J’ai eu un peu de peine à me débarrasser de se badaud pas forcément mal intentionné. Peut-être son p’tit jeu du jour que de parler à n’importe qui, une façon de sortir de sa zone de confort ?

Personne ne sait où est la zone de confort de l’autre. À moins d’être à son écoute ?

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La valeur des êtres

Aujourd’hui, j’ai passé toute ma journée sur le canapé, à ne rien faire. Maladie éternelle, peine sempiternelle. À 30 ans, je suis condamnée à l’immobilisme.

Ces journées canapé, je les appelle mes journées « pourries ». Et dans la société qui m’a façonnée, elles me font me sentir terriblement inutile. En effet, aujourd’hui, à la fin de ma journée, quel bilan ? quel apport ? à qui ? ou même, combien d’argent ?

Je me souviens d’un reportage récemment, où l’on montrait des réanimateurs qui faisaient des points réguliers sur des patients hospitalisés covid. La question à chaque fois c’était : « On continue les soins ou on arrête ? ». On en vient à discuter de Madame M, 70 ans : son état se dégrade avec régularité, ça commence à faire 3 semaines qu’elle est hospitalisée en réanimation, ça va être dur pour elle de s’en remettre si on continue. Et là, quelqu’un de dire : « Malgré son âge, c’est quand même une dame autonome qui s’occupe de ses petits-enfants ». Et un confrère de répondre « Alors on continue les soins ».

On y était, Madame M était utile. À la fin de ses journées, avant son covid, Madame M pouvait se satisfaire de ne s’être jamais assise sur le canapé, et même :
-d’être allée chercher ses 2 petits-enfants chez sa fille à 7h30
-de les avoir gardés jusqu’à 8h20 puis de les avoir déposés à l’école
-d’être allée les chercher à 16h30
-de les avoir gardés jusqu’à 20h, les accompagnant avec amour dans les devoirs, le bain, le repas du soir et le coucher.

Madame M était utile à sa fille, utile à ses petits-enfants, donc utile à la société. Économies d’argent grâce à elle, amour gratuit grâce à elle.

Madame M méritait donc de vivre.

Je me suis alors imaginée à la place de Madame M. J’aurais attrapé le covid, et je serais là, à 30 ans, hospitalisée en réanimation, à me dégrader progressivement. Ce serait le jour du point régulier sur les patients hospitalisés. « Madame Manon, ça fait déjà 3 semaines qu’elle est hospitalisée en réanimation, qu’est-ce qu’on fait ? ». Et là, quelqu’un dirait : « Malgré son jeune âge, Madame Manon c’est quand même une dame dépendante qui passe des journées entières à ne rien faire sur son canapé ».

On déciderait donc que Madame Manon n’était pas vraiment utile.
On penserait que Madame Manon n’avait pas vraiment besoin de vivre.

À tous les inutiles.

 

PS : ce billet a été repris en mai 2021 par la revue médicale Prescrire. On m’a demandé si un titre plus inclusif était envisageable (le titre initial était : « La valeur des hommes ») et j’ai donc donné mon accord pour « La valeur des êtres ». J’avais déjà beaucoup réfléchi au titre avant. Naturellement, l’inclusion pour moi, c’est l’évidence. Mais le mot « homme » existe. J’ai vérifié sa définition dans plusieurs dictionnaires, et le Littré par exemple indique bien en définition 2 : « L’homme, l’être humain en général. » Je suis très attachée à la richesse de la langue française d’une part, et d’autre part à la douceur phonétique qu’offre le mot « OM » en une syllabe, simple, miroir de notre fragilité. Enfin, l’ouvrage « Des souris et des hommes » a marqué notablement tout mon « parcours de curiosité culturelle », donc ce titre est pour moi un façon de rendre hommage à la plume merveilleuse de Steinbeck.

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Le classeur médical

Bon. Ça va faire 12 ans que je suis malade. Les premiers symptômes vraiment bruyants en septembre 2008, et un premier diagnostic assez vite, en 2009, qui avait permis d’avoir accès à des gros médicaments, des « bazookas » comme disait le Docteur, tout fier déjà à l’époque d’utiliser le champ lexical de la guerre. J’avais 22 ans. J’ai eu de la chance, 22 ans c’est ni trop jeune (enfance tranquille) ni trop vieille (cerveau qui mémorise). Donc, jusqu’à aujourd’hui, je n’avais jamais fait de classeur médical digne de ce nom. Presque tout dans la tête. Quelques antisèches sur l’appli Notes du smartphone (mes 12 AG, mes 12 fractures spontanées), des pochettes par-ci par-là, entamées un jour, abandonnées toujours.

Un fois en 2016, un Docteur sympa m’avait dit : « je suppose qu’avec tous vos problèmes, vous devez avoir un gros classeur avec tous les documents médicaux bien rangés. » C’était le genre de Doc ultra bienveillant. Le très jeune qui n’a pas encore eu le temps de voir éventuellement son melon pousser et ses certitudes s’enraciner. Pas le genre à dire « Oh là là Madame un classeur médical mais vous êtes une psychopathe une patiente MGEN une névrosée ».

Eh oui, parce que ça arrive que plein de gens – tout simplement organisés – aient des classeurs médicaux. Après tout, normal. On a environ tous un classeur banque, électricité, internet, scolarité, diplômes, urssaf etc. On a même un carnet de santé pour les vaccinations de son furet de compagnie. Alors pourquoi pas un classeur médical ? Y compris comprenant des vieilles ordonnances de paracétamol ou des biologies normales de y a 10 ans ? Oui parce que pour plein de gens, le Paracétamol c’est aussi important que le Glivec, parce que ce n’est pas leur compétence de différencier des molécules. Pareil pour les biologies. Plein de gens ne savent pas si elles sont normales, si même vieilles elles peuvent être utiles plus tard. Bref, ces « gens à classeur » sont stylés et ne méritent pas, me semble-t-il, moqueries et/ou blâmes.

Maintenant je reviens plus particulièrement sur les énormes triples classeurs médicaux des gros patients, dits « poly-pourris » n’est-ce pas, avec beaucoup de problèmes ; les problèmes étant souvent traités indépendamment par des médecins de spécialités hermétiques les unes des autres. Eh bien je vous assure que ce genre de gros classeurs, ils font mal. Ils font mal à organiser. Ils font mal à trimbaler. Ils font mal à montrer à quelqu’un.

En effet, qui aime être malade ? Personne.

Aujourd’hui, j’ai acheté des intercalaires pour commencer mon vrai classeur médical, digne de ce nom, délester ma mémoire, peut-être alléger ma charge mentale. Comme une fleur, j’ai acheté 12 intercalaires, ce serait 1 intercalaire par spécialité médicale, parce qu’avec ma maladie systémique poly-pourrie, l’interniste veut que je continue de me balader chez tous ses Chers Confrères spécialistes. J’ai pensé au magasin, avec un fort dédain : « 12 intercalaires pour mon classeur ?! mais c’est beaucoup trop ! ».

Et puis chez moi j’ai commencé à trier, lentement, le gros bordel en vrac qui s’était environ accumulé dans un gros tiroir depuis 12 ans. Après quelques minutes de ce rangement tant redouté, je m’aperçois que les 12 intercalaires ne suffisent pas…Il va falloir un second classeur, et davantage d’intercalaires…En 12 ans, je n’avais jamais capté que je voyais plus de 12 spécialistes. Gros coup dur. Voilà peut-être en partie pourquoi je ne voulais pas faire ce foutu classeur médical.

Derrière chaque classeur, si mince soit-il, si gros soit-il, il faut toujours percevoir : une souffrance. Et forcément à un moment, de l’inquiétude, sur le passé, sur l’avenir. Accueillons ces classeurs médicaux sans jugement, sans commentaires. Contentons-nous tous, soignants et soignés, d’en faire bon usage : pour le soin.

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Deuxième vague, pas deuxième vague, et blablabla

Bon. Fin juin 2020. On regarde la courbe du coronavirus en France, ouf, c’est une gaussienne, tout le monde est content parce qu’on est vers le bas de la courbe, et un pic (un maximum local) a été passé. Ouf ouf « la crise est finie ». Ouf ouf on a été très courageux. Ouf ouf on mérite une belle récompense. Des médailles des badges, et puis surtout, au placard le masque, c’est relou c’est chiant ça gratte.

De toute façon maintenant c’est bon, les médecins ont dormi, les internes ont fait leurs premières semaines dans leur nouveau service, le SAMU est désaturé, ouf ouf si j’ai le virus ben j’irai à l’hôpital et puis voilà, c’est mon droit mon choix.

Contaminer les autres ? J’m’en fous c’est bon ça va. Personne ne saura que c’est moi d’abord. Et puis c’est bon maintenant, y a de la place à l’hôpital.

Alors. Y aura-t-il, y aura-t-il pas, une deuxième vague ?

Docteur Le Savant qui est un grand urgentiste infectiologue dit qu’il n’y aura pas de deuxième vague parce qu’on est tous immunisés parce que les chiffres qu’on a ne sont pas les bons, et parce que Docteur Le Savant, ça fait 30 ans qu’il est médecin, c’est pas à un vieux singe qu’on va apprendre à faire la grimace. La médecine (et le reste), il sait mieux que tous les autres.

Mais quand même y a Professeur Leplufor qui est infectiologue épidémiologiste et qui dit attention il y aura une deuxième vague parce que c’est comme ça que ça c’est passé en 1918 et que lui il sait mieux que tout le monde parce que son grand-père Leplufor était un aussi un épidémiologiste microbiologiste en 1918.

Et puis après y a Docteur Influenceur qui a 100 000 abonnés sur Twitter et qui dit que blablabla blablabla blablabla.

C’est marrant tout ça. De mon côté, mon côté de patiente avec une maladie qui fait « des vagues » depuis 10 ans, à chaque fois que je demande à un médecin ce qui va se passer dans le futur pour moi, je me fais recadrer ni une ni deux : « MADAME je suis médecin je n’ai pas une boule de cristal ! ».

Et maintenant des boules de cristal fleurissent de toutes parts. J’aimerais bien soumettre à tous ces grands experts qui ont sorti leurs super pouvoirs, mon avenir. Qu’est-ce que ce serait pratique. Mais serait-ce vraiment pertinent ?

La maladie imprévisible m’a appris un truc. On ne peut rien prévoir, sauf prévoir l’imprévisible : on sait qu’on ne sait pas ce qui va se passer.

Peut-être ce sera une grosse vague, peut-être une petite vague, peut-être un gros pâté, peut-être un château de sable, peut-être une fonction affine, une fonction escalier, une fonction cube, une sinusoïde au carré, une asymptote, une limite infinie à l’infini.

Je me demande d’où vient cette fascination pour les vagues et autres prédictions plus ou moins mathématiques.

Tout ce que je vois c’est qu’on teste et qu’on trouve du virus. On en trouve plein. Il est toujours là. Pas besoin d’être Madame Irma pour constater ça.

Ni même Docteur Le Savant, Professeur Leplufor, ou Docteur Influenceur.

Le virus est toujours là. Protégeons-nous c’est tout.

PS : il est prouvé scientifiquement qu’on ne sort pas toujours vivant de l’hôpital. Le coronavirus est parfois mortel.

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Le savoir vivre au temps du coronavirus

Bon. Ça y est les gens ressortent un peu. On me demande : « Alors ça y est tu sors ? » Et moi je réponds : « Ça y est, je ne sors plus. » Tiens, mais pourquoi ça ?

Pendant le confinement, il n’y avait personne dans les rues, personne chez le médecin, personne au labo d’analyses, personne au centre d’imagerie. Du moins, pas beaucoup de monde. Quel bonheur d’avoir tout le trottoir pour soi en fauteuil roulant. Quel bonheur de ne pas attendre chez le médecin. Des chaises partout, en veux-tu en voilà.

Et puis ensuite, déconfinement oblige, les gens sont ressortis. Bien sûr, il fallait bien qu’ils sortent. Ça les avait soûlé cet enfermement. Puis fallait qu’ils sortent avec un masque, alors ils étaient vénère intérieurement. Ça gratte ici, ça irrite là, vraiment chiant quoi. Décidément la maladie, comme c’est pénible. Elle nous maintient à la maison, elle nous irrite le visage et le cerveau, parfois même elle tue, et alors on est vraiment triste. Bref, la maladie, « c’est devenu l’affaire de tous ».

Dans un premier temps j’ai pensé : « hummm mais très bien, très bien, les gens vont enfin comprendre ce que c’est que de subir la maladie ».

Et puis j’ai compris ce qui s’est passé vraiment dans les têtes. Ça y est. La maladie, on la subit tous. On doit tous faire la queue pendant des heures à 1 mètre de distance chacun. Ça casse les couilles. Tout ce temps perdu à attendre à faire la queue. En profiter pour méditer ? Foutaises.

Ah tiens, y a un Papy dans la queue. Je l’observe, j’ai le temps, j’ai rien à faire, je ne médite pas. Il a le dos tout courbé. Il regarde par terre. Il a un masque mal mis, ça couvre un peu tout son visage, je ne sais pas s’il va bien. Ses jambes bougent nerveusement même s’il fait du sur place. Il se tortille le dos. Il regarde toujours par terre. PAPY A MAL.

Ah tiens, y a une nana en fauteuil roulant dans la queue. Je l’observe, j’ai le temps, j’ai rien à faire, je ne médite pas. Une jolie gonz sur le fauteuil, elle me fait penser à « ma copine Pauline« .  Elle fait du téléphone avec un seul doigt, elle a les poignets tous tordus. Elle a de la chance avec sa petite chaise roulante qui la suit partout. Elle, au moins, elle n’a pas mal debout, comparé à Papy. Soudain, je la vois qui sort un grand tissu de son sac attaché au fauteuil derrière. Elle recouvre ses jambes avec le tissu, furtivement. Elle s’était FAIT PIPI DESSUS.

Ah tiens, y a un gars avec des béquilles dans la queue. Je l’observe, j’ai le temps, j’ai rien à faire, je ne médite pas. C’est un jeune homme beau et pas gros. Probablement un sportif de haut niveau qui s’est blessé à l’entraînement. Ça ne doit pas lui poser problème à lui, les béquilles, il a de la force. Dans quelques semaines, il sera guéri et il va galoper comme un lapin. Il s’est appuyé contre un petit muret pour continuer à faire la queue avec ses béquilles. Franchement il gère. Ça va bientôt faire une heure qu’on attend, qu’est-ce que c’est lonnnnnng. Et puis soudain, v’là que le jeune avec les béquilles s’en va. Il abandonne la queue. Il hésite quand même. Il n’a pas de volonté ni de détermination, c’est une chochotte. 1h pour lui debout et v’là qui fait son caprice. Il S’EN VA.

OK on a tous un masque, OK on ne se fait plus la bise, OK on fait la queue longtemps à 1 mètre de distance. C’est vrai que d’un coup d’un seul, la maladie nous a mis au garde à vous.
Et ce n’est pas rigolo.

Mais n’oublions pas qu’on n’est pas tous égaux face au virus.

Il n’y a pas seulement les facteurs de risques identifiés comme l’obésité le tabac ou l’hypertention qui fragilisent des gens face aux formes graves de la maladie causée par le virus.

Il y a tous ceux qui souffrent des mesures mises en place pour anticiper le virus, comme la queue. Et on peut les aider.

Dans le monde d’avant, le Papy, le fauteuil roulant, les béquilles, la femme enceinte, n’importe qui qui semblait souffrir sans le dire, on l’aidait. On l’aidait à s’asseoir, on le laissait passer, on lui gardait sa place dans une queue pour qu’il se repose à distance.

Dans le monde d’après, toutes ces petites attentions sont toujours possibles ; et même, elles n’ont jamais été aussi nécessaires.

D’avance, MERCI. Vraiment.

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Cérémonie du 8 mai 2020 au Ministère : masques, gants, mains, cerveaux et tigres !

Mes Chers Compatriotes,

En ce 8 mai 2020, date de commémoration de la fin de la seconde guerre mondiale en 1945, nous fêtons également aujourd’hui le début de la guerre contre le coronavirus.

Pour préparer cette journée exceptionnelle, mon Ministère du Confinement s’est entretenu longuement durant toute cette semaine, bras de chemise retroussés, prêt à « enfourcher le tigre », selon les termes du Chef de l’État et des Armées, avec les experts suivants :
-une Grande Biologiste
-un Grand Médecin
-un Grand Vétérinaire, puisque quand il s’agit d’enfourcher un tigre mes Chers Compatriotes, il est impératif de prendre AVANT, l’avis de son vétérinaire traitant.

C’est ainsi que, pour fêter ce 8 mai 2020, mon Ministère a décidé d’offrir à tous les français, je dis bien tous, une leçon pédagogique et gratuite sur les gestes barrières, afin que le déconfinement de lundi prochain ne soit pas, un déconfitement.

Concernant les masques :

-le masque propre se place sur le visage par les élastiques ou les attaches que l’on touche avec des mains propres
-il doit couvrir la bouche ET le nez
-il ne doit pas être porté en collier. Le port en collier est acceptable uniquement dans un contexte hors épidémie, par exemple quand en 1945 la vétérinaire limait les dents d’un lapin et qu’en même temps elle souhaitait draguer l’assistant avec un sourire sibyllin.
-on ne doit pas toucher son masque (parce que celui-ci est sale), y compris si on est le président de la République en visite dans une école. Si vraiment on touche son masque, par besoin ou par erreur (errare humanum est comme dirait Édouard), on se lave les mains après.

Et c’est tout ! Incroyable n’est-ce pas ?!

Concernant maintenant les gants :

-les gants ne sont pas l’équivalent du masque, parce qu’on ne respire pas par les mains
-il ne faut pas porter de gants (sauf si votre métier le nécessite) car :
on ne peut pas se laver les gants comme on se lave les mains.

Exemple : le boulanger vend du pain contre de l’argent. Il porte des gants. Rassurant ? Pas forcément ! Vous êtes le premier client, le boulanger enfile des gants, il vous tend la baguette, tout va bien, il n’y a pas sa transpiration sur votre pain. Mais il touche après votre argent, que vous avez touché avant, avec votre transpiration. Donc les gants du boulanger deviennent sales. Et il sert le client suivant avec des gants sales. Donc la baguette suivante est sale. Et caetera, comme dirait Édouard. Sauf si le boulanger change de gants à chaque fois qu’il touche de l’argent.

Concernant maintenant les mains :

-il faut considérer que TOUT ce qui est à l’extérieur de chez vous, ou qui rentre chez vous, TOUT EST SALE. Je passe le pas de ma porte, C’EST SALE.

Exemple : peut-être qu’un voisin a éternué sur la poignée extérieure de ma porte, deux minutes avant que je sorte. C’est peu probable c’est vrai, mais s’il a vraiment éternué, alors le risque d’attraper le virus est très élevé, et comme vous le savez, on peut aisément mourir du virus. Donc TOUT EST SALE.

Sauf…ce qu’on lave ! Comme les mains, qu’on lave avec du gel hydroalcoolique, ou de l’eau et du savon. Ou son corps, ses lunettes, ses cheveux, qu’on lave à la douche. Qui seront propres, tant qu’ils toucheront des choses propres, comme l’intérieur de votre domicile, si vous n’êtes pas porteur du virus.

-sur une très courte période où l’on sait que l’on ne sera PAS déconcentré par un coup de téléphone ou un enfant qui se blesse, il est possible de « garder des mains sales » ou « une seule mains sale ».

Exemple : je sors du taxi, je me rends chez le médecin. J’utilise mon gel hydroalcoolique. J’ouvre le flacon avec mes mains sales, j’en mets sur mes mains, je frotte bien partout, je nettoie au passage l’emballage extérieur du pot de gel. Mes deux mains sont propres. Je vais tout faire pour garder une main propre, une main sale. Je suis droitière, ma main droite sera la sale. Idéalement dans la main gauche donc, la main propre qui ne touchera rien, j’ai laissé une noix de gel. C’est la main sale qui appuie sur les sonnettes, qui ouvre les portes. On peut utiliser ses pieds parfois pour certaines choses (ses coudes non, si on tousse dans son coude). J’arrive à l’accueil du médecin, j’ai une main gauche propre qui renferme du gel, un corps sale, une main droite sale. La main propre avec le gel peut immédiatement laver la main sale. Et les mains propres peuvent farfouiller pour donner la carte vitale, et caetera. Avec toujours en tête le postulat que TOUT EST SALE, sauf ce qu’on lave.

Concernant maintenant le cerveau :

-vous l’aurez compris, pour faire tout ça, il faut rester bien concentré. Au début c’est difficile, après c’est plus facile. Mais attention, parce que quand on est fatigué, c’est plus dur de rester concentré. Vous comprenez maintenant pourquoi des professionnels de santé au contact direct avec des patients infectés pendant des heures fatigantes, mettent leur vie en danger ? Aidons-les !

Une vitre en plexiglas ? restons bien derrière !
1 mètre de distance ? Mettons en 2 ! 

Les consignes d’un professionnel ? Respectons-les !

Les consignes de mon Ministère ? Bénissons-les !

Mes Chers Compatriotes, en ce 8 mai 2020, vous vous préparez à enfourcher des tigres. Mais si vous tous, je dis bien tous, si vous portez des masques et si vous respectez les gestes barrières, alors les tigres et les virus ne vont tueront pas, et nous autres, dans les Grands Ministères, on pourra enfin se la couler douce, en vous regardant faire.

Merci à tous !

Vive Mon Ministère, vive les tigres, et vive la France !

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