Archives mensuelles : mars 2018

Le don de soi

Bon. Je sortais de la fac. Y avait un gars qui tractait sur le don du sang. Une jeune et belle nana devant moi venait de lui mettre un vent. Moi je passe à côté du gars avec mes écouteurs plantés dans les oreilles. Je sais ce qu’il va me dire en me tendant le tract. Alors je lui sors mon plus beau sourire, et esquisse un refus poli de la main. C’est beau ce qu’il fait.

J’entends un : « Ah non tu vas pas me mettre un vent, toi aussi ! ». C’était gênant. Je ne voulais pas lui « mettre un vent » comme la jeune et belle nana devant. Je ne voulais pas non plus faire de coming out parce que c’est dur. J’ai continué quelques pas mécaniquement pour dépasser le gars tractant, entraînée par ma vitesse initiale. Et puis merde. J’ai pris mes couilles à la main, et j’ai fait marche arrière. Je n’allais pas, moi aussi, mettre un vent à ce bon gars.

Je lui ai dit direct : « Ils ne veulent pas de mon sang. »

Lui : Silence gêné.

Moi : « Pourtant je suis jeune et belle non ? »

Lui : Re-silence gêné à demi amusé ; « Mais pourquoi ils ne veulent pas de votre sang ? »

Voilà. Était venu le temps du coming out tant redouté.

Moi : « Parce que j’ai des maladies. »

Silences gênés de nous deux.

Je reprends effronté, éhontée, en colère : « Pourtant tout n’est pas malade chez moi. Par exemple j’ai un cœur magnifique. C’est le cardiologue qui l’a dit. Plein de fois. »

Lui compatissant, et alors attiré par mon cœur : « Mais vous êtes sure ? Vous ne voulez pas allez leur redemander ? Quand même vous êtes jeune et belle. »

Moi : « Non. J’ai proposé plein de fois déjà. Je voulais tout donner. Mon sang mes organes mes plaquettes ma moelle. Évidemment je veux donner ce qui est en bonne santé. Mais ils ne veulent rien de moi. C’est beau à l’extérieur, mais ça ne vaut rien à l’intérieur. »

Lui, sincèrement troublé, me dit que c’est trop dommage, et me remercie.

Moi aussi je l’ai remercié pour ce qu’il faisait. Tous ces vents qu’il se prenait dans la face en plein vent, par des jeunes et belles nanas. Sûrement par des jeunes et beaux garçons aussi. Tous ces dons qu’il ramenait aussi. Et ce coming out d’habitude si difficile qu’il m’avait fait réussir. Le quitter avec le sourire. La soirée était jeune et il me l’avait souhaitée belle. Il était fort ce gars. Il avait un don.

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Les « bons » du bon médecin

Bon. Je me pose souvent trop de questions. À force de voir des médecins, je me demande souvent : « C’est quoi un bon médecin ? »

Je me souviens de je-ne-sais-plus-quelle-etude-très-savante qui disait que la caractéristique numéro 1 que les patients voulaient chez un médecin c’était la compétence. Ok. C’est vrai que c’est assez important. Mais du coup la compétence c’est quoi ? Ne jamais se tromper de diagnostic ? de traitement ? En médecine c’est impossible. Alors le médecin doit avoir d’autres qualités, je crois.

On avait déjà dit ici sur le blog qu’un médecin sympa, c’était bien. Oui parce que quand on est souvent malade, on voit souvent des gens à cause de ça. Et quand on voit souvent des gens, c’est plus agréable s’ils sont sympas. D’autant plus que la maladie par essence c’est un peu triste, alors un peu de sympathie, ça fait toujours plaisir.

On n’a jamais trop parlé du médecin drôle. Il y a des gens comme ça, par nature, sans le faire trop exprès, ils sont drôles. On n’est pas obligé d’être rempli de grands gargarismes de rire. Juste sourire, ça peut suffire.

Regardez donc l’ordonnance de ce médecin drôle : « bon pour 10 séances ». Ce n’est pas génial ça ? Trop mignon ? On dirait un ticket de loterie ! On ne va pas se soigner, on va jouer ! On a un bon pour 10 tentatives. Allez je choisis le tir à la carabine plutôt que la loterie finalement, le hasard c’est trop banal. Je préfère le combat à la chance. 10 fois j’essaye de viser la cible avec la carabine. La cible c’est la maladie, vous avez compris ? Vous avez remarqué comme c’est quasi impossible de toucher la cible avec la carabine dans les fêtes foraines ?! Doit y avoir un trucage, forcément. Pourtant je joue souvent !

J’aime bien jouer. Surtout à la fête du village de ma grand-mère, dans le nord du Portugal. Il fait toujours chaud. Chaque année pendant 4 jours, la population du village passe de 1000 à 10 000. Il y a des hauts parleurs accrochés aux lampadaires et ils diffusent de la musique en continu. Ça sent bon les churros. Les forains s’installent pour faire jouer les petits comme les grands, en vendant des « bons ». C’est vraiment des bons moments. Tout le monde est heureux. Voilà.

Vous imaginez jusqu’où il nous fait voyager le médecin drôle avec sa prescription drôle ?

À la loterie de la vie moi je vous le dis,
Un médecin grâce auquel je ris,
Ça me plaît et y a que ça de vrai.

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Insomnie, mon petit

Bon. Aujourd’hui c’est la journée du sommeil, et moi je voudrais vous parler de l’anti sommeil, l’inverse du sommeil, le « Docteur je ne dors pas », j’ai nommé… la grande, la belle, la puissante, insomnie !

J’ai longtemps vécu ma vie avant la maladie comme un bouddha. Avec en outre une nonchalance… à en faire pâlir de jalousie Georges Duroy dans Bel-Ami de Maupassant. Je me foutais de tout, je goûtais à tout. Je méprisais les gens « stressés » qui d’après mes analyses s’ennuyaient, donc stressaient.

A l’époque je ne savais pas ce que ça voulait dire, souffrir.

Puis j’ai commencé à aller chez le médecin. Pour des symptômes bizarres. Qui ne ressemblaient pas aux cases auxquelles il était habitué. Entre autres, je ne dormais pas. J’avais ce que j’appelais dés diarrhées d’insomnies, ou des constipations de sommeil comme on préfère (ah avec le caca, c’est toujours plus clair ! ). Moins je dormais, plus j’étais fatiguée. Plus j’étais fatiguée, moins je dormais. On me taxait d’anxieuse à tout prix. Au début ça m’amusait, puisque même dans l’adversité, je restais bouddha. Ça a fini néanmoins par m’agacer. Et me rendre vraiment anxieuse.

Plus tard, bien plus tard, un Grand Professeur Docteur m’a dit « Ah vous ne dormez pas ? Hum moui moui c’est excellent. C’est normal, c’est votre maladie ». Bon sang, bouddha qui tapait du poing depuis 30 ans, face à des médecins qui ne démordaient pas du « l’insomnie ce n’est pas physiologique c’est psychologique, vous êtes anxieuse Madame ».

Je voulais leur en foutre de la « logique ». Bouddha était en colère. Dormir c’est tellement… basique. Une pointe d’acidité dans cette réplique.

Depuis longtemps je prends des médicaments pour réussir à dormir. Dormir, le truc le plus nonchalant qu’on devrait savoir faire pourtant. Il n’y a pas de honte. À chaque maladie ses médicaments.

Bonne journée du sommeil à tous !!
J’espère que vous dormez bien, ou que, à défaut, vous parvenez à vous soigner.

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Mais pourquoi le « patient-expert » ?

Bon. Je risque de faire un paquet de pas contents avec ce billet. D’habitude c’est vrai que je me contente de raconter des histoires drôles, et je n’aime pas trop prendre parti, m’insurger contre des pratiques X ou Y. Mais j’ai quand même un organe qui s’appelle le cerveau et j’essaye de réfléchir quand je ne comprends pas quelque chose. Et là, je ne comprends pas.

C’est quoi en fait ce concept récent de « patient-expert » ? C’est un patient qui sait beaucoup de choses a priori. Et alors ? Il faut le traiter autrement ? Je ne crois pas. Du coup pourquoi il a besoin d’un nom spécial ? Pour le distinguer des autres ? Il y a les « experts » et les « non-experts » ? Les « cérébrés » et les « non-cérébrés » ? (c’est une copine médecin qui m’avait appris ces mots)

Moi je suis pour que tous les patients soient experts, s’informent, lisent ; ça ne peut que faire avancer le schmilblick. En fait, de façon générale, je suis pour la diffusion du savoir.

Mais ce qui m’afflige au plus haut point, et qui en choque plus d’un, (vous pouvez faire le test dans votre entourage, ça marche mieux avec les non-malades) c’est que pour avoir le « titre » de patient-expert, il faut VALIDER UN DIPLÔME. Allô quoi ?! Merci Nabila. Là je diagnostique une grosse diplômite généralisée… Je me permets de le dire aussi parce que je connais un peu la maladie de la grosse diplômite parce que je suis même atteinte de diplômite (donc bac+8) et je pense que ce n’est pas bien comme maladie.

Bon et puis, c’est quoi les stat’ d’embauche à la sortie du diplôme ? Parce que un diplôme, en principe, c’est pour un travail, en principe… Ce n’est pas comme si tout les hôpitaux et cliniques de France et de Navarre embauchaient à tour de bras des « patients-experts ». C’est vrai que ce serait bien. Il y aurait le métier à la sortie, évidemment proposé aux yeux de tous sous forme d’offres d’emploi, et pas des petites magouilles de copinage entre assos ou autres, et par conséquent il y aurait la formation correspondante. Là OK. Mais ça, c’est le monde des Bisounours.

Alors c’est vrai qu’être malade chronique c’est souvent comme un vrai travail tellement ça prend du temps ; c’est vrai qu’il y a une vraie compétence qui est acquise. Et avec le temps cette compétence elle pourrait être en effet « professionnelle » si elle était échangée contre de l’argent. Exemple : quand moi, malade depuis 10 ans, je sais que pour joindre Marie-Christine au téléphone, la secrétaire du Docteur D du CHU, il va me falloir une matinée entière, il va falloir jouer de mille subterfuges, comme appeler la voisine de Marie-Christine pour savoir si celle-ci est partie faire pipi, c’est une compétence évidente que le nouveau malade tout naïf n’a pas. Mais cette compétence, elle s’impose d’elle-même, elle n’a pas besoin d’être « validée ».

En plus, ça pose un problème au sein même des malades. Ça induit une hiérarchisation. Moi par exemple, pas patiente-experte diplômée, ou patiente pas experte pas diplômée, va savoir, j’ai déjà voulu aider, humblement, avec toute ma grande expérience, et on m’a déjà dit : « Ah salut, tu veux être bénévole ? T’es patiente-experte ? Ah ben non désolée, ça ne va pas être possible, nous on ne prend que des experts ». Pfiouuuu. Même pour du bénévolat = du travail gratuit, il faut un diplôme.

Donc voilà. Vous êtes malade. Bienvenue dans ce nouveau monde. Mais vous voulez vraiment avoir la légitimité ? Auprès des soignants ? Auprès du médecin ? Auprès des institutions ? Auprès de la société ? Auprès des autres malades ? Alors payez pour un diplôme. Cher. Tant pis si vos finances s’amenuisent déjà avec les AT (=Arrêts de Travail). En dépit de la fatigue de la maladie, venez vous asseoir sur une chaise pendant 100 heures. Et rédigez un mémoire. Et passez des examens.

Bref. Vous êtes malades ? Alors prouvez-le !

PS : j’ai lu pas mal de choses sur le sujet, et entre autres je suis tombée sur cette très juste interview de Cynthia Fleury, qui a une chaire de philosophie à l’Hôpital Hôtel-Dieu à Paris (pour les non-universitaires qui savent pas ce qu’est une chaire, c’est un peu comme un chaise, un bureau quoi). Il y a juste la partie sur le patient-expert qui me semble une aberration, à moi comme à la journaliste Sylvie Logean d’ailleurs.

PPS : sinon, pour une vision plus modérée du sujet, et non moins intéressante, sur le blog de Catherine Cerisey, un article ici.

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Pour qui le bloc ?

Bon. Personne n’a jamais trop envie d’aller au bloc. « Le bloc » c’est le bloc opératoire. Il y a pas mal de trucs de bloc qui peuvent être faits en ambu (=ambulatoire = vous ne dormez pas à l’hôpital). Mais même en ambu, souvent on vous donne une chambre, pour l’avant bloc et l’après bloc. Histoire de se désaper et de revêtir la blouse fleurie tranquille, oklm.

Pourquoi il y a souvent des petits motifs sur les blouses des patients ? Et pourquoi la couleur de base c’est toujours le bleu ?
Bon passons ces questions trop compliquées.

Mon père m’avait accompagnée ce jour-là. Mon père est plus âgé que moi ; je préfère jouer la franchise avec vous.
Et tout le monde sait que ce sont les vieux qui sont malades, et les jeunes qui sont en bonne santé, n’est-ce-pas ?

Alors on attendait tous les deux dans la chambre avant que j’aille au bloc. Je repoussais le moment de la blouse, parce qu’après on a froid, et on est moche. Et j’aime être jeune et belle. Et en bonne santé.

Donc on rigolait habillés en gens normaux dans la chambre, seuls. Soudain, une blouse blanche a déboulé, et nous a vus là, à oser s’amuser, dans une chambre d’hôpital. Vous n’imaginez pas la rouste qu’a prise mon père :

« Monsieur, pourquoi vous n’êtes toujours pas en blouse ? Tout le monde vous attend ! Vous allez retarder le planning, vous ne vous rendez pas compte ! »

Et bim ! Mon père gêné. Puis la bouse blanche gênée. Moi pas gênée.

La blouse blanche a eu un moment de lucidité : « C’est bien pour vous, Monsieur ? »

Et moi : « Oui c’est pour lui. »

Et mon père commençant à paniquer, me montrant du doigt : « Non c’est pour elle. »

Bon. Je suis devenue sage. Fallait bien accepter.
J’ai enfilé la blouse bleue, et j’ai suivi la blouse blanche, peu fière de s’être ainsi fait berner.

PS : pour les lecteurs qui lisent un peu l’anglais, un article récent du New York Times sur une Ecole de Design travaillant le style de la blouse du patient !

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Être sur et être sous

Bon. Je ne sais pas si vous avez remarqué.

C’est devenu une mode, ces vingt dernières années, d’être « sur » Paris, « sur » Lyon, « sur » Brive-la-Gaillarde. Je me dis que les gens aiment s’asseoir sur la ville qu’ils veulent, appuyer bien fort les pieds et les fesses, se coucher dessus même, pour peser plus lourd. Bref, j’y vois là des pulsions de domination, voire même de…colonisation ?

A l’inverse, je crois que ça a toujours été une mode, d’être « sous » médicament. Être « sous » pilule, être « sous » biothérapie, être « sous » Doliprane.

« Je sors du MG (= médecin généraliste), il m’a mise sous Ibuprofene ».

Pourquoi ce « sous »?

Est-ce qu’on subit le médecin, le médicament, le choix thérapeutique, la maladie ?
Est-ce qu’on est « sous » tout ça ?
Je ne le crois pas. On ne devrait pas.

Mais je suis tellement saoul que c’est à n’en être plus sûr.
Pansons nos maux, et pensons nos mots.

PS : Vous remarquerez que, pour les besoins de cette réflexion, je suis devenue un homme. Je suis passée « sur » l’homme, pas « sous » l’homme.

PPS : une réflexion sur la percée du « sur » dans la langue française : ici.

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Il neige dans mon corps

Bon. Il neige dans mon corps
Comme il neige sur la ville ;
Quel est ce confort
Qui pénètre mon corps ?

Ô silence doux de la neige
Sur les chaises et sur les tables !
Pour un corps qui s’ennuie,
Ô le chant de la maladie !

Il neige sans raison
Dans ce corps qui s’endort.
Quoi ! Que de trahison.
Ce deuil est sans saison.

C’est bien une belle scène
De ne savoir pourquoi
Avec amour et sans haine
Mon corps a tant de peine !

Manon Verlaine

PS : le vrai poème ici

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