Archives mensuelles : août 2021

Non, l’hôpital n’a pas tenu !

20 novembre 2019. Hospitalisation prévue de 2 jours, truc pas très important. J’arrive au 5ème étage, avec mon gros sac pour 2 jours, plein de tous mes médicaments, et ma grosse fatigue, d’avoir traversé toute la ville pour venir. Je suis là pile à l’heure. Je suis passée aux admissions. Tout est en règle. Je me présente au poste de soins :

« Bonjour, je suis Madame Manon, je viens pour mon hospitalisation.

-Madame Manon ? ça s’écrit comment ? en 1 mot ou en 2 mots ? avec 2 N ? Vous êtes sure que vous ne vous êtes pas trompée de date ? Faites-voir votre convocation ! Ah ben voilà, vous vous êtes trompée de date ! Ah non ? le 20 novembre c’est aujourd’hui ? Ah oui en effet c’est aujourd’hui. Ben c’est quoi le problème alors ? Vous n’avez pas confirmé votre venue par email ! Il faut confirmer sa venue par email Madame c’est indispensable ! Ah bon, vous aviez bien confirmé par email ? vous l’avez là, sur votre téléphone ? Faites-voir ! Quelle date votre mail ? Ah oui ? Ah oui en effet ! Ah ben ça y est, je sais ! J’étais en vacances quand vous avez envoyé le mail ! Voilà, j’étais en vacances ! Et quand je suis en vacances personne ne me remplace et ensuite quand je reviens il y a tellement de mails que je ne peux pas tout traiter ! Voilà ! Désolée Madame mais vous pouvez rentrer chez vous, vous n’êtes pas au planning des hospitalisations, toutes nos chambres sont pleines on ne peut rien faire pour vous. On vous recontactera. Ben oui, désolée mais j’étais en vacances !

Et moi de rentrer bredouille, la cyphose lasse, bien dépitée par cet Hôpital public si jalousé dans le monde entier, où pourtant tant de problèmes règnent. « Tu aurais dû faire un scandale » me dit un non-habitué. À quoi bon ? J’ai l’habitude, c’est ça, l’Hôpital public.

10 décembre 2019. Je revois le médecin de ville qui avait demandé l’hospitalisation. Il n’est pas étonné par mon récit. Il me dit qu’on attend donc la reprogrammation, pour instaurer le traitement le plus adapté.

Mais je n’ai pas que ce problème. Une grande maladie déjà établie me ronge depuis longtemps. Pour ça que je connais si bien mon Hôpital.

14 mars 2020. Annulation générale de toutes les consultations pour cause d’épidémie qui s’annonce grave.
23 mars 2020. Ordonnances envoyées par email dans la hâte pour les patients chroniques, comme moi.

Il y a une pandémie mondiale, on ne connaît rien sur la transmission, on ne sait pas qui est vulnérable, alors on sort tout ce qu’on peut de l’hôpital, on réquisitionne tous les personnels qu’on trouve pour traiter les malades contaminés. Des plus jeunes aux plus âgés, des moins diplômés aux grands Chefs, on enrobe tout le monde dans des sacs poubelle et on fonce soigner tête baissée ; il faut affronter la maladie c’est le métier.

11 mai 2020. Déconfinement. La première vague est passée. Tout le beau monde prépare son livre sur la pandémie. Pour la rentrée littéraire de septembre. Et le plus français des français de se targuer : « l’hôpital a tenu ».

Cette phrase m’obsède depuis la première fois que je l’ai entendue.

Alors oui, pour quelqu’un qui ne met jamais les pieds à l’hôpital, qui se contente d’une hospitalisation de 2 jours, truc pas très important, malencontreusement annulée finalement non réalisée, qui a entendu que « les murs avaient été poussés », mais qui n’a pas vu sur BFMTV des images d’effondrements de bâtiments telles les Tours du 11 septembre, on doit probablement pouvoir se dire en toute sincérité, et même avec une once de fierté : « ah là là oui, nous, la France, l’Hôpital a tenu. »

Mais c’est quoi, un Hôpital qui tient ? Des murs qui ne s’effondrent pas ? Des gens debout sur leurs deux jambes ? De l’oxygène en veux-tu en voilà ?

Sur BFMTV ,on a vu qu’en Amérique du Sud il y a des gens qui sont morts couchés par terre aux urgences. Et puis après même, on a vu des gens qui sont morts par terre avant d’avoir pu rentrer dans l’hôpital. Et puis en Inde, on a vu des gens qui ont brûlé des dépouilles d’autres gens dans la plus précipitée des hâtes, on dit qu’il y a même une dame qui a failli être brûlée alors que finalement elle n’était pas morte.

« Ça, ce sont des hôpitaux qui n’ont pas tenu », se dit-on en France. On méprise discrètement ces pays mi-sauvages/mi-curieux, tels des Denis Diderot se préparant à la rédaction du Supplément au Voyage de Bougainville, pour la rentrée littéraire de septembre 2021.

Premier semestre 2021. La plupart des consultations ont repris à l’hôpital. Mais pas toutes. On a annulé et on continue d’annuler ce qu’on dit maintenant « non urgent ». On a redéfini l’urgence. Le cancer et les greffes, inférieures au virus. On a redéfini la valeur des êtres. On reclasse. On reconsidère. On modifie les priorités. On fait comme on peut. Un de plus un de moins. De toute façon à la fin c’est pareil.

En 2021, je ne reconnais plus le monde d’avant à l’hôpital. Les professionnels de santé hospitaliers sont encore plus fatigués « qu’avant ». Même les plus ascétiques d’entre eux ne répondent plus aux mails, se montrent tendus, s’endorment en consultation, ont besoin de raconter, sont en colère.

Je suis confuse d’être malade et d’avoir toujours besoin de ces êtres humains. Je voudrais les laisser se reposer, enfin.

6 juillet 2021. Me voilà de retour au 5ème étage, pour mon hospitalisation prévue de 2 jours, celle qui n’avait pas pu se faire en 2019 parce que la secrétaire était en vacances. Presque 2 ans après donc. Une petite boule au ventre, parce que j’espère que cette fois, il n’y a pas eu de problème de vacance de secrétaire.

Dans l’ascenseur, j’avais regardé le nom des autres services. J’aime bien faire ça. Pour me rendre compte de toute l’offre de soin de notre bel Hôpital public français.

Au premier étage, de la réanimation covid. Mince. Au deuxième étage, de la réanimation covid. Mince. Au troisième étage, de la pneumologie covid. Mince. Au quatrième étage, de la médecine covid. Mince.

Depuis ma fenêtre du 5ème, je vois les ambulances arriver les unes après les autres. Un train train quotidien normal. Si je m’étais contentée de venir à l’hôpital le 20 novembre 2019, et aujourd’hui, je me pavanerais probablement moi aussi, glorifiant la performance de notre Hôpital capable d’engloutir des vagues les unes après les autres, tout en plaçant chaque 2 ans les patients non urgents. Mais j’ai vu. Mais je sais.

Et la quatrième vague est là.

Pour moi, l’Hôpital n’a pas tenu.

Et il est urgent de le (re)construire.

PS : ce texte enrichi du premier billet du 9 juin 2021 « Peut-on vraiment dire que l’hôpital a tenu » a été intégré dans le journal d’épidémie du Docteur Christian Lehmann, paru dans Libération, le jeudi 5 août 2021.

Share

Ma promesse au Grand Monsieur qu’était Philippe Gourdin

« Samedi dernier, Philippe nous a quitté. »

Je lis et je relis cette phrase postée sur la page Facebook « Philippe Gourdin – Auteur » , mais je ne parviens à y croire. Philippe fait (faisait faut-il dire maintenant) partie de ces hommes et de ces femmes, qui même s’ils meurent, restent vivants dans nos esprits, tant ils étaient vivants quand ils étaient vivants.

Depuis plusieurs années, la maladie me cloue maintenant dans mon appartement. Parfois je sors, parfois non. Trop de douleurs, trop de symptômes, besoin de toilettes, pas assez de force. Alors je reste, en « pyjama ». Le soir parfois, je change de « pyjama », pour faire croire à mon cerveau que je me suis habillée dans la journée. En fait, la frontière entre mes « pyjamas » et mes vêtements de journée n’existe plus. Tout est fait de largesse et de confort, pour palier l’inconfort de la trop large maladie.

A l’époque où je n’étais pas malade, je critiquais allègrement ces pyjamards, types flemmards qui ne prenaient même pas le temps de se brosser les dents, qui osaient parler d’un rendez-vous à 14h du matin. Je les abhorrais, je les méprisais, nous n’étions pas du même monde. Dans mon corps et mon esprit régnaient la discipline du show off et de la performance, j’étais maquillée jusqu’au bout des ongles dès 8h du matin, ne fut-se que prête à ouvrir au facteur pour signer un recommandé. Ne fut-se que pour passer la journée à étudier à la maison, et me démaquiller le soir, sans n’avoir finalement croisé personne.

Je vais vous faire une confidence : cette époque me manque. Non pas l’époque où je me croyais supérieure à des congénères, mais l’époque du maquillage, l’époque du rituel de bonne santé.

J’ai lu pas mal de choses de Philippe, et d’ailleurs je vous invite à faire de même. Il fait partie de ces gens qui auraient pu devenir des Marc Levy, mais percer dans l’écriture est presqu’aussi difficile que de se maquiller le matin quand on est devenu trop malade. La phrase qui m’a le plus marquée de Philippe, c’est qu’il disait : malgré la maladie, tous les matins, je m’habille. La première fois que je l’ai lue, cela a été pour moi une révélation. Il était donc bien possible de s’habiller le matin, quoi qu’il en coûte, comme on dit aujourd’hui. Néanmoins, après cette lecture à mes yeux divine, je ne me suis pas habillée tous les jours. Parfois un peu, parfois jamais.

Aujourd’hui, j’ai appris ton décès hier, Philippe. Aujourd’hui, je suis douleur, je suis symptômes, j’ai besoin de toilettes, je n’ai pas assez de force. Mais aujourd’hui je suis habillée, maquillée. J’ai même mis des boucles d’oreilles. Et je me promets de poursuivre cet effort désormais chaque jour qu’il me restera, pour honorer ta mémoire.

Repose en paix.

Les livres de Philippe, c’est aussi ici : https://www.philippegourdin.net/

Share