Archives de catégorie : À la pharma

La valise à médicaments

What ? On est en mars et elle part déjà en vacances ? Elle va dans les îles peut-être ? Non on lui prête deux semaines un p’tit appart en Europe ? Mais alors pourquoi elle fait sa valise maintenant sérieux ? Elle part quand en fait ?

Je pars dans 28 jours + 4 jours.

Mais pourquoi elle dit pas qu’elle part dans 32 jours ? ou dans 1 mois tout simplement ?

Vous vous souvenez de « La charge mentale » ? Pour la sécurité sociale, un mois c’est 28 jours. Surtout pour les ordonnances sécurisées. Pour les autres ordonnances, vous avez le droit de les renouveler tous les 21 jours, une aubaine pour moi là parce que je vais pouvoir renouveler 2 fois avant de partir, et ainsi avoir quelques comprimés d’avance, qui ne seront pas de trop au cas où je reste plus longtemps pour ixe mille raisons.

Donc aujourd’hui, à J-(28+4) de mon départ, j’ai passé 2heures à compter et recompter, le traitement de base, le traitement de crise, le traitement des petits bobos au cas où. Oui parce qu’on a beau avoir un traitement de base, ça n’empêche pas d’avoir des petits problèmes annexes parfois.

Je parle toute seule à voix haute, je compte lentement les comprimés et les jours comme si j’étais à l’école primaire, je calcule avec ma calculatrice de trucs trop cons comme 13+4. À la moindre erreur, un manque de comprimés, et c’est le drame. Je parle à voix haute comme si la pharmacienne était en face de moi, elle m’avancera s’il-vous-plaît 2 boîtes de ci 3 boîtes de ça, je lui laisserai ma carte vitale pour qu’elle puisse faire la facturation, la veille de mon départ je viendrai lui laisser une seringue qu’elle acceptera de me garder dans son frigo parce que mon frigo va lâcher d’un jour à l’autre, le lendemain du retour je reviendrai chercher cette seringue + les ordonnances des 5 boîtes de ci et de ça. Vous avez suivi ?

Ça c’est la comptabilité théorique et la prévision de mes arrangements avec la pharmacie. Ensuite il s’agit de prendre rdv avec mon médecin traitant pour lui dire que je pars en vacances et que donc sur l’ordonnance sécurisée il va falloir faire croire qu’on augmente un peu mon traitement pour que j’aie un peu plus que 28 jours parce que je pars dans 32 jours mais que la dernière validation de mon ordonnance sécurisée date d’il y a 17 jours et qu’on ne peut pas chevaucher les validations des ordonnances sécurisées. Vous avez bien suivi ?

Ensuite il va s’agir de faire la valise à médicaments. Je vais mettre dans un grand sac en vrac des comprimés pour 21 jours puisque je pars 14 jours mais je rajoute toujours des jours, ici 7, au cas où mon avion est annulé (surtout en ce moment, why not) et que peut-être faudra alors supplier un doctor sur place pour me prescrire ma totale en lui montrant mes ordonnances dans une langue qu’il ne comprendra même pas.

J’établis une liste exhaustive des médicaments de base, de crise, de petits bobos. Il y a selon l’humeur des valises à médicaments optimistes (toutes petites) et des valises à médicaments pessimistes (très grosses).

Depuis tout à l’heure je dis valise mais en général je cale ce gros bordel dans un sac à dos type sac de rando, parce qu’on ne met jamais Ô grand jamais ses médicaments en soute (encore moins ceux conservés dans les pains de glace) on les garde au plus près de soi comme s’ils étaient une extension de vous-même. Quand vous montrez le contenu du sac à la sécurité, on prend Madame pour une grande hypochondriaque, ça fera rire un bon bout de temps un paquet de machos de la sécurité, même si en principe c’est le 8 mars la journée de la femme alors quand même on pourrait s’abstenir aujourd’hui.

Voilà. 2 heures pour les comptes, 30 minutes pour le blog. Ensuite le temps chez mon médecin généraliste, le temps chez mon pharmacien, au moins 4 fois. Je pars seulement 14 jours en Europe.

C’était ma valise à médicaments.

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Il neige dans mon corps

Bon. Il neige dans mon corps
Comme il neige sur la ville ;
Quel est ce confort
Qui pénètre mon corps ?

Ô silence doux de la neige
Sur les chaises et sur les tables !
Pour un corps qui s’ennuie,
Ô le chant de la maladie !

Il neige sans raison
Dans ce corps qui s’endort.
Quoi ! Que de trahison.
Ce deuil est sans saison.

C’est bien une belle scène
De ne savoir pourquoi
Avec amour et sans haine
Mon corps a tant de peine !

Manon Verlaine

PS : le vrai poème ici

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La guérison

Bon. Vous avez peut-être déjà compris en lisant des bouts de blog, moi j’ai deux (deux c’est mieux) maladies chroniques incurables. In-cu-ra-ble, comme le découpe l’artiste DoubleA dans son spectacle, dont je vous parlerai bientôt. « Incurable » d’après le Larousse (je m’appelle Leroux, j’aurais toujours voulu m’appeler Larousse, d’abord parce que je suis une fille et pour faire plus intelligent) ça veut dire : « Dont on ne peut se défaire, qui possède un défaut sans qu’on puisse l’en débarrasser ». Donc ce n’est pas comme un rhume qui s’en ira. Ce n’est pas comme une infection à clostridium difficile qui après vous avoir permis de séjourner dans la plus belle chambre de l’AP-HP, partira avec l’aide des antibiotiques.

Incurable = on ne guérit pas. Alors oui peut-être un jour, quand les chercheurs auront beaucoup travaillé, quand les labos pharmaceutiques auront vu l’opportunité de faire tourner la boîte, quand les médecins auront eu confiance en des nouveaux médicaments, peut-être un jour, des maladies incurables aujourd’hui, deviendront curables. Mais dans longtemps quoi. A l’échelle d’une vie humaine, le corps médical vous explique d’emblée que la maladie, c’est pour la vie.

En fait, dans certaines maladies incurables, comme les miennes, les évolutions sont imprévisibles. Ça peut s’aggraver toujours, ça peut se calmer toujours, ça peut évoluer en dent de scie toute la vie. Donc dans tous les cas c’est un peu comme un mariage à l’ancienne. On tombe sur quelque chose, on ne sait pas trop comment ça va se passer, mais pour sûr on va rester marié.

A partir de là, il y a un truc génial en France, qui s’appelle l’ « Affection longue durée » (ALD). C’est très affectueux comme petit nom, la même affection qu’il y a dans un mariage justement. Ce système permet par exemple d’avoir ses médicaments entièrement pris en charge par la Sécurité Sociale. Ça peut être très intéressant si par exemple votre médicament coûte 5000 euros par mois. Il n’y a pas les 30% pour la mutuelle, ou pour votre pomme si vous n’avez pas de mutuelle. Autre exemple, en général les radiologues ne prennent pas de dépassement d’honoraires si votre ordo concerne l’ALD. Sans faire de commentaires sur les tarifs des radiologues, on commentera la belle économie que peut vous permettre l’ALD sur les imageries, si vous êtes sans mutuelle ou si votre mutuelle ne prend pas en charge les dépassement d’honoraires (ce qui est mon cas, et le cas de plein de monde).

L’idéal c’est que votre maladie chronique se trouve dans LA liste des 30 ALD reconnues par la Sécurité Sociale. Une fois le diagnostic posé, bien annoncé, vous avez la chance de pouvoir faire une « demande d’ALD ». En général la réponse est positive dans le cas de la maladie de « liste ». C’est comme pour rentrer en boîte de nuit, c’est toujours mieux d’être sur « la liste ». Alors par contre, il y a un truc curieux. On a bien retenu les mots « longue durée ». Logique puisqu’au-dessus on a parlé de « incurable ». Et bien souvent, on a l’ALD pour un an, deux ans, cinq ans, dix ans, bref pour quelques années. Je ne comprends pas trop bien. Ils sont très optimistes à la Sécurité Sociale sûrement. Sur tout le processus dont on a parlé au début, chercheurs, labos pharma, médecins… Ils pensent que ça va aller très vite. Pourquoi pas. Mais juste pour qu’on se rende bien compte hein, une demande d’ALD, ça peut prendre plusieurs mois entre la demande et la réponse. A priori ça veut dire que c’est un processus « longue durée ». Donc pourquoi la super idée ce serait pas de tout simplifier et de mettre des ALD à vie ? Ben oui, in-cu-ra-ble. Figurez-vous que ça a déjà existé. Mais que d’après un MG que j’avais vu qui connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui travaillait à la Sécurité Sociale, on aurait peur du trafic de cartes vitales à ALD à vie, même après la mort des gens. Quand j’avais entendu ça…waou. Je me voyais déjà millionnaire. Oui parce que mon père a une ALD à vie. Enfin non pas « à vie » mais on lui a délivré en 2008 un papier lui disant que son ALD serait valable jusqu’en 2099. Mon père est né en 1949. Je vous laisse faire le calcul et du coup voir l’espérance de vie estimée par la Sécurité Sociale pour mon père. On a dit optimisme, encore plus que chez Carrefour ! Du coup je sais déjà ce que je ferai pour gonfler mon héritage. Merci Papa.

Alors reprenons, si votre maladie chronique n’est pas sur la liste des 30 ALD (regard noir du videur : « Vous n’êtes pas sur la liste ») et bien c’est un peu le : « ça ne va pas être possible ce soir« . C’est-à-dire que là, c’est encore mieux, vous n’êtes pas malade chronique ! Vous n’avez pas d’affection longue durée, désolée. En réalité les médecins (= ces pessimistes qui aiment les malades et les maladies) arrivent en général à batailler avec la Sécurité Sociale et de là ressort une semi victoire à moitié réaliste qui vous déclare un peu malade, à revoir dans quelques années, comme si vous aviez été sur « la liste ». La maladie c’est donc finalement plus souple que la boîte de nuit.

Pour la MDPH, la Maison Départementale des Personnes Handicapées, qui « reconnaît » votre handicap, vous délivre éventuellement une carte de priorité, ou une carte d’invalidité, ou une carte de stationnement, c’est le même optimisme ! Une demande à renouveler tous les 2 ans, tous les 5 ans. Rapport à leur force de travail, on peut saluer encore davantage l’optimisme extrême de la MDPH, puisque là les délais, par exemple pour mon cas perso « simple » (= tu demandes pas d’argent) à Paris (c’est « départemental »), ça a été un an et demi le temps entre la demande et la réponse. Voilà voilà. Presque le temps qu’on pense que tu seras guéri quoi.

Alors moi, aussi candide ou optimiste que l’avait décrit Voltaire, je me prends à rêver, à chaque fois que je reçois ces fameux courriers qui m’indiquent que mon ALD a été renouvelée, pour deux années. Je rêve tellement…

C’est bon les lecteurs, dans deux ans je suis guérie, j’arrête tout, les médicaments l’hôpital les médecins et le blog, pour aller faire pousser des pommes de terre en Isère avec Voltaire !

PS : la photo, c’est celle du valeureux Eric T, merci Eric ! Vous pouvez le suivre sur Twitter.
PPS : Un fidèle lecteur me fait remarquer que, le problème de ce macaron, c’est la durée !

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La rencontre avec la Big Pharma

Bon. J’ai envie de vous raconter une petite histoire drôle. C’était il y a genre 2 ans mais je vais essayer de m’en souvenir au mieux du mieux. Et puis comme ça vous avez uniquement le grand cru, sélectionné par ma mémoire pour vous.

Depuis toujours je suis inscrite dans les banques de données des instituts de sondages pour arrondir un peu les fins de mois. Ça peut aussi être très ludique d’arrondir ses fins de mois comme ça. Ainsi pendant plusieurs années j’ai été payée pour aller déguster des trucs souvent archi bons. Genre trois macarons au chocolat nommés A, B et C que je devais observer, sentir, goûter, noter. C’était cool.

Alors un jour j’ai reçu un email d’un gros laboratoire pharmaceutique qu’on nommera X qui cherchait des gens qui prenaient leur médicament Y pour leur poser des questions. Je prenais ce médicament depuis plusieurs années, on se connaissait bien tous les deux. Le labo était sympa, il offrait des goodies aux patients traités par Y. Je ne vous dis pas quels goodies pour pimenter le récit et préserver l’anonymat de tout ça.
Avouez que vous avez déjà les papilles qui pétillent… !

Donc on me proposait 40 euros pour 2 heures d’entretien avec une nana du labo X. J’ai postulé direct. Bien plus par curiosité que pour les 40 balles, mais c’est aussi toujours ça de pris que d’être payé pour être malade. Je suis arrivée dans un centre qui visiblement en même temps faisait un sondage sur les pizzas. Les gens arrivaient en nombre « pour les pizzas » et étaient enfournés tour à tour dans une salle attenante qui sentait bon. Moi j’attendais sagement sur le canapé « pour le médicament ». Je me suis demandé pourquoi je n’avais pas aussi reçu le mail « pour les pizzas ». Mon tour est arrivé, une nana genre la cinquantaine, belle, blonde et fraîche, est montée me chercher parce que « les médicaments » ça se passait à la cave (c’est Paris hein, les trucs qui ont pignon sur rue ont souvent des caves, genre c’est souvent là où y a les toilettes des bars, le top de l’accessibilité pour les collègues en fauteuil. Bon on ne va pas refaire Paris en un billet de blog).

Ambiance tamisée dans la cave. Ça sentait plutôt bon. Pas la pizza mais… une odeur de médicament qui donne envie. La belle nana et moi on s’assoit face à face avec un bureau qui nous sépare, un peu comme chez le médecin. Je suis assez gênée. Comme à chaque fois chez un nouveau médecin. La nana m’explique qu’il n’y a pas que elle en face de moi, mais qu’en fait il y a le reste de son équipe derrière une vitre noircie – en mode salle d’interrogatoire du commissariat – qui observe mes réactions et elle me demande si c’est OK pour moi. J’hésite entre WTF ou LMFAO. Je ne suis plus trop gênée, je trouve ça drôle. J’ai envie de faire *coucou* à l’équipe, mais je m’abstiens. Ça pourrait être interprété comme une réaction. Et puis j’avais pas encore eu les 40 boules. Je me sentais « au travail », alors il fallait rester pro. La nana m’explique qu’elle va me poser des questions et que je vais à chaque fois choisir entre 5 smileys, du très content au pas du tout content. On en avait pour 1h30 comme ça, alors je ne vous fais que le petit florilège :

1) Avez-vous peur de l’aiguille ?
Smiley content simple.

2) Votre médicament est conditionné en rouge et gris, qu’en pensez vous ?
Dans ma tête j’ai encore hésité entre WTF et LMFAO, puis j’ai choisi un smiley content simple.

3) Auriez-vous davantage envie de prendre votre médicament s’il était d’une autre couleur que la couleur actuelle ?
Là j’ai vraiment hésité à mettre un smiley très content (pour « oui ») pour mettre le marketing tout transpirant de suspense derrière la vitre en branle-bas de combat : « Noémie putain tu vois je t’avais dit que vert ce serait mieux, ça fait nature. Les gens aiment la nature. » Je voyais déjà la buée sur la vitre teintée. Bon finalement je suis restée pro, j’ai pas voulu stresser Noémie&co, donc j’ai rassuré tout le monde en cochant le smiley bouche neutre.

4) Est-ce que vous oublieriez moins souvent votre médicament s’il avait une autre apparence de forme, taille… ?
WTF et/out LMFAO. On est passé au niveau supérieur aux 5 smileys à choisir. La nana m’explique que c’est une question à double entrée où on combine l’intensité de l’oubli et la forme, donc elle me sort un tableau à double entrée à remplir de smileys avec le délai en jours que je pense que je vais oublier selon la forme et la taille… pfiou… des maths j’en ai fait un peu, mais je vous avoue que j’ai galéré pour ce tableau à double entrée, j’ai juste eu envie de lui écrire en gros en diagonale sur le tableau : « C’est pas la taille qui compte. » C’était trop vulgaire, c’était pas pro, j’ai rempli le tableau.

On arrête les questions à smileys, et on passe au dialogue. Elle me demande si je ne préférerais pas aux aiguilles plantées hebdomadairement, un petit boîtier collé en permanence sur ma peau. Elle me montre le proto, toute fière. C’était quand même un parallélépipède de environ 2*1*6 cm. Donc gros quoi. Là oui, quand c’est trop gros, la taille compte. Bref le boîtier, je rigole, pas que dans ma tête cette fois. Quand même Noémie ! Non on ne veut pas du boîtier !

On continue les questions ouvertes. Moins neuneu que les smileys. Elle me demande ce que je fais dans la vie et je lui dis que je suis chimiste. Elle s’extasie : « Ah mais fallait le dire avant ! » Ben depuis le début je désigne des smileys comme demandé. Toujours un peu gênée je demande pourquoi. Elle aussi du coup un peu gênée dit qu’elle ne sait pas pourquoi. Bon. On en reste là sur mon métier de chimiste. J’ai réfléchi longtemps à cette extase quand même. Elle voulait me recruter ? Elle me trouvait mieux éduquée que d’autres ? Elle n’aurait pas caché ses collègues derrière la vitre ? Ça l’excitait que ce soit un expert en molécules qui goûte une molécule ? Je suis restée là-dessus. Si c’est Cyril Lignac qui évalue un couscous, c’est toujours plus intéressant que si c’est Stéphane Plaza.

Elle m’a demandé si j’avais quelque chose à ajouter. Do you have something else to declare ? J’ai dit oui. J’étais aussi venue pour ça. Je vous le dis à vous aussi lecteurs : le médicament faisait mal ! À l’injection. Ça dépendait des gens bien sûr, mais globalement on était très nombreux à s’en plaindre. On s’embêtait à se coller des patches EMLA des heures à l’avance comme pour les vaccins des gamins, l’été c’était pas pratique parce que les patches se décollaient, alors on entourait les patches sur la jambe avec tout un tube de sparadrap. Et malgré toutes ces précautions, moi par exemple je ne pouvais pas bouger la jambe pendant une vingtaine de minute après la pikouze, et j’avais un peu mal à la jambe pendant 24 heures. Donc j’ai raconté tout ça. En vrai je suis chimiste mais je ne connais pas tous les mécanismes du pourquoi du comment des médocs injectables qui font mal. Il y a la composition, la viscosité, la température, d’autres trucs. Bref c’est sûrement pas facile de réaliser une substance qui ne fait pas mal.

On arrivait aux deux dernières questions. Elle m’a demandé quel serait le truc le plus important que j’aurais à dire de négatif sur ce médoc et évidemment j’ai pas dit « rouge et gris », j’ai dit « la douleur ». Elle m’a demandé le truc le plus positif sur ce médoc et évidemment j’ai pas dit « rouge et gris » mais j’ai dit « son efficacité ». La nana a bien pris note mais j’ai senti la déception. Ils avaient clairement bossé la couleur… »Donc le rouge et gris sous cette forme-là comme ça, vous êtes sûre que vous confirmez que ça vous convient ? » On ne vivait pas dans le même monde je crois. Elle m’a fait relire mon procès verbal, j’étais d’accord. On s’est chaleureusement serré la main, elle m’a raccompagnée en haut, filé mon chèque de 40 euros, je suis sortie dans la rue vite fait.

Je ne sais pas si les pizzas aussi avaient déjà fini. Voilà, je suis rentrée satisfaite, un peu sous le choc quand même de cette rencontre fortuite en face to face avec la big pharma. Je ne sais pas combien de gens ont été interrogés, si j’étais la première ou la dernière ; je connais encore moins les résultats. Ce que je sais c’est qu’environ un an après, une nouvelle version de ce médicament Y est sortie. Ça a fait un mini buzz type nouvel iPhone, entre patients, au cab’ du doc’, à la pharma : « Alors tu l’as testé toi ça y est ? » Pour tous c’était le pied. Non le rouge et gris n’était pas devenu vert mais le liquide à injecter avait changé de formule. Il ne faisait plus mal ! Maintenant je ne prépare plus un rituel presque funéraire hebdomadaire, avec chaise à accoudoirs, coussins rehausseurs, musique apaisante, pansements sang et serrage de dents, mais je pique je pique je pique, je pourrais même faire des pizzas en même temps !

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ATU topic

Bon. Prononcez Atéhu. A. T. U. pour Autorisation Temporaire d’Utilisation. Vous avez une maladie, a priori rare, et il n’y a pas ou peu de médicaments pour vous aider, en France. Mais d’autres pays sont un peu en avance, et donc l’Hôpital peut faire venir un médicament pour vous, dans le cadre d’une ATU. Mon médicament en ATU vient d’Australie. Je trouve ça cool de toucher/manger un truc qui a été en Australie. J’ai un copain australien qui m’avait expliqué que la faune et la flore caractéristiques de là-bas avaient été mises en place il y a cent millions d’années, par l’isolement du continent, et que la distance avec l’Asie était assez importante pour permettre aux espèces animales d’évoluer en Australie de façon très singulière, sans mélanges. On parle de ligne Wallace. Du coup, uniquement en Australie vous trouverez des échidnés, qui sont des mammifères qui pondent des oeufs, des lézards à collerette, et parmi tout ça, mon atéhu.

Donc aujourd’hui je suis allée, comme tous les mois, chercher mon ATU à la pharmacie de l’Hôpital. Les ATU ne sont pas disponibles dans les pharmacies de ville. Dans mon billet « la plus belle chambre de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris« , j’avais partagé un super plan avec vous. Là je vais faire un peu pareil. J’ai testé trois pharmacies d’Hôpital, fonction de où je travaillais à l’époque et d’autres facteurs administratifs complexes. Évitez si possible à tout prix la pharmacie de la Pitié Salpêtrière. Ils sont gentils c’est sûr. Mais il faut poser sa demi-journée pour avoir son ATU. Ou bien il faut aimer attendre. La salle d’attente est petite, alors on attend dehors, on attend debout, on discute. Après, en discutant un peu « entre handicapés », j’ai appris que la pharmacie de l’Hôtel-Dieu était plus rapide. J’ai demandé le transfert de mon ATU, et j’y suis allée un temps, chercher mon médicament. C’était carrément plus rapide. J’attendais en général trente minutes, il y avait des sièges pour tout le monde. Encore une fois les gens étaient gentils. Et puis un jour, j’ai trouvé encore mieux. Genre LA meilleure pharmacie de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris. Vous avez remarqué peut-être, souvent des bistrots se targuent de faire LE meilleur burger de Paris. Je me demande toujours comment ils ont pu tester tous les burgers de Paris et décider à l’unanimité que c’était untel qui faisait le meilleur (au passage pour moi LE meilleur burger de Paris est ). Donc, à l’instar du meilleur burger, je vous affirme que ma pharmacie hospitalière, c’est LA meilleure, point.

Ma pharmacienne préférée c’est Nora. Elle demande toujours « Alors comment ça va ?« . Elle sourit toujours. Elle demande si ça s’améliore. Elle demande comment ça se passe avec le médecin. Elle donne des retours d’expérience de patients sur tel ou tel médicament. Et si vous êtes un peu ramollo elle vous refait le moral en trois coup de cuiller à pot. Ce n’est pas toujours Nora qui s’occupe de moi. Il y a souvent des internes. Aujourd’hui j’ai eu Pierre. Et Pierre il est super. C’était son destin vu la rime.

Alors Pierre a regardé mon ordo (nnance) et s’est exclamé tout joyeux : « Oh mais celui-là il va bientôt passer en ATU de cohorte ! ». Moi : « ? » On n’a pas les mêmes choses qui nous rendent joyeux, Pierre et moi. Mais j’aime bien apprendre. Et Pierre aime bien enseigner visiblement. Du coup j’ai eu le droit à ma petite leçon. J’ai pris des notes, pour vous. Et Pierre ne sait pas que c’était comme une interview. Donc avant l’ATU de cohorte il y a l’ATU nominative, qui est le degré zéro du médicament, quand il ne passe pas par les process classiques, et qu’il faut le faire venir de l’étranger. C’est beaucoup de boulot (=de paperasse) pour le médecin l’ATU nominative, et il faut renouveler la paperasse tous les six mois. Des médecins de ville disent qu’ils ne peuvent pas faire de demandes d’ATU, des médecins d’Hôpital disent que leurs chers confrères de ville peuvent faire les demandes d’ATU mais qu’ils ne veulent pas. Moi je ne veux pas me mêler de ça, mais j’ai bien compris que dans tous les cas c’était un truc pénible à faire et à renouveler, l’ATU nominative. Pour le pharmacien de l’Hôpital aussi apparemment c’est pénible, comme m’a dit Pierre. Alors que l’ATU de cohorte, c’est beaucoup moins de paperasse pour le médecin et pour le pharmacien. J’ai compris pourquoi Pierre était content. Les étapes ensuite c’est la post-ATU, ou pré-AMM (Autorisation de Mise sur le Marché), où là c’est encore plus simple pour Pierre, plus complexe pour moi parce que je commence à être perdue dans la leçon de Pierre et que vous aussi probablement. De toute façon c’est fini. Après il y a la vraie AMM, un prix est défini, et là vous pouvez enfin aller normal dans la pharmacie près de chez vous tout simplement, prendre tous les médicaments au même endroit, en évitant le coup de la Salpêtrière et de vos jours de congés qui partent en fumée. Le boss dans tout ça c’est l’ANSM : l’Agence Nationale de Sécurité de Médicament et des Produits de Santé. De l’ATU nominative (donc pharma de l’hôpital) à l’AMM (donc pharma de ville) il peut se passer au mieux quelques années. Et de la post-ATU à l’AMM (donc passage d’une pharma à l’autre), les pharmacie des Hôpitaux peuvent être prévenues 3 jours à l’avance genre, donc compliqué pour écouler les stocks, m’a expliqué Pierre.

Voilà. Je pense que ce post n’intéressera pas grand monde finalement, à part ceux qui ont une ATU et qui sauront qu’il faut un peu de temps pour trouver LA meilleure pharma de Paris, Bordeaux, Lyon, Marseille, voire de France du coup (quand on est marseillais…). Ça semble un peu galère vu comme je l’ai décrit, et ça l’est un peu, genre c’est pas une utopie (cf. le titre de ce post). Mais : 1) j’adore voir Nora ou des internes comme Pierre (qui changent tous les six mois donc) 2) il y a des gens qui ont des maladies incurables et qui rêvent qu’une molécule arrive en ATU.

PS : Je relis Le degré zéro de l’écriture de Roland Barthes, c’est pour ça que j’ai eu l’idée d’écrire que l’ATU nominative c’était le degré zéro du médicament. C’est vraiment bien Roland Barthes. Au cas où vous prenez votre ATU à La Pitié Salpêtrière par exemple.

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L’amitié avec le pharmacien

Bon. Ça y est, je tutoie le pharmacien. Pourtant ça ne fait qu’un an et demi que je vais dans cette pharmacie. Faut dire qu’avec mon calibre, je m’entends souvent très vite très bien avec le pharmacien. Je suis bonne cliente. Oups patiente. Une fois vraiment une secrétaire en pneumo (logie) m’a dit au téléphone « Le problème c’est que le service s’est agrandi, on a recruté des médecins mais ils arrivent déjà avec leurs clients ». Drôle.
J’essaye de m’organiser pour renouveler ma dizaine d’ordonnances au même moment, une fois par mois puisque la sécu permet la délivrance des médicaments pour un mois max. Mais souvent je n’ai pas envie d’y aller, ou je ne prends que les médicaments dont je suis vraiment à court (typiquement les boîtes de 28 comprimés, pas pratique ça, merci les labos de penser à nous !) ou j’égare temporairement des ordos et donc je reviens plus tard, bref souvent ça décale et je me retrouve à y aller au moins une fois par semaine. Au moins une fois parce qu’après du côté de la pharma, il y a des médocs trop rares qu’il faut commander, ou des ruptures temporaires, souvent. Enfin il y a aussi parfois les problèmes de sécu, plus rares heureusement, des ALD qui même demandées trois mois à l’avance disparaissent subitement de la carte verte (que j’utilise beaucoup plus que la carte bleue, merci la France <3 ). Bref, autant dire qu’il vaut mieux bien s’entendre avec le pharmacien. Je dis le pharmacien mais en fait ils sont plusieurs dans ma pharmacie. Manu je le tutoie, et les autres je les appelle par leurs prénoms. Il y a Aurore, Mylène, Gaëtan, Benjamin, Guilhem. Le boss on le voit pas souvent, il doit passer son temps dans sa tour d’ivoire, à pharmacier loin des patients.
Quand j’arrive à la pharma, le pharmacien ne me demande pas : « Alors comment ça va ? » mais : « On fait le plein ? ». La première fois qu’il m’a dit ça, j’ai vérifié que je n’étais pas à la pompe à essence quand même.
Alors, ce qui n’est pas pratique avec ma belle maladie de système qui aime grignoter plusieurs de mes organes, chaque organe voulant ses médocs, c’est qu’il commence à y avoir des incompatibilités entre les médicaments, et ça, c’est le pharmacien qui me l’a dit. Classe. En fait il y a pas mal de gens qui ont ce problème, et on n’y pense pas toujours quand on est en bonne santé ou qu’on ne prend qu’un médicament. Les labos font plein de tests sur les effets secondaires potentiels d’un médicament, mais quid des interactions ? Allez un peu de stat’ (istique) pour se faire plaisir. Admettons que pour 1 médicament (donc 1 molécule) il y ait 100 effets secondaires possibles. Admettons que quand on mélange 2 médicaments entre eux, il n’y ait pas 200 effets secondaires possibles (la somme donc) mais que chaque effet secondaire d’une molécule puisse faire une combinaison avec un autre effet secondaire d’une autre molécule : 100^2 = 10 000 (la fameuse interaction). Ben moi par exemple, on me prescrit 22 molécules à consommer, qui vont se frotter ensemble et venir se frotter aux autres molécules qui sont déjà dans mon corps. Interactions médicamenteuses et effets secondaires possibles :
100^22 = 100000000000000000000000000000000000000000000 = 1e+44
soit 44 zéros après le 1.
Là j’ai vraiment compris le rôle du pharmacien. Parce que heureusement il faut faire le tri dans tout ça, ce ne sont que des possibilités. Et puis j’ai pris des hypothèses ultra grossières. Les biostatisticiens auraient pondéré par la fréquence des effets secondaires, considéré que mal d’estomac combiné avec mal d’estomac  = mal d’estomac donc compte seulement pour 1, considéré que ce qui est le plus inquiétant finalement c’est l’effet de deux molécules combinées qui tuent direct, et là ça donne 22*21/2 = 231 combinaisons « seulement » à vérifier, etc. Bref, 2 zéros après un 1 et 44 zéros après un 1 c’est pas pareil, mais dans tous les cas c’est beaucoup, et on comprend que, le pharmacien c’est mieux s’il est malin.
Donc un jour le pharmacien a fait un truc trop stylé. Il m’a mis en garde contre des médicaments prescrits qui allongeaient dangereusement l’intervalle QT (pour en lire davantage sur le sujet, par exemple ce lien du CHU de Rouen, mais sinon Google : il faut chercher QT médicamenteux et pas congénital). Avec cette alerte, le pharmacien a sauvé mon cœur. Et maintenant, on est tellement copains, que bientôt j’irai le retrouver en vacances, dans sa terre de cœur.
Edit : Une lectrice et amie biologiste à l’INSERM fait la remarque suivante : « J’aime bien tes histoires car j’ai une application concrète de ce que je lis dans mes revues sur PubMed. Je connaissais bien le long intervalle QT car c’est le cauchemar des chimistes médicinaux, l’effet secondaire qui envoie à la poubelle 90% des molécules thérapeutiques car les canaux hERG responsables de cet effet sont capables de lier un gros paquet de molécules dites drugable. »
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