Archives mensuelles : mai 2021

À 8h, ma morphine. À 20h, ma morphine. À 8h, ma…

Bon. Vous avez peut-être vu/lu cet article récent du Monde intitulé : « A 8 heures, ma morphine. A 11 heures, ma morphine. A 14 heures, ma morphine… » : dans l’enfer de l’addiction aux opioïdes. Un article réservé aux abonnés ; et c’est tant mieux. Le problème, c’est que ce titre putaclic a fait le taf, il a été grave bien été retweeté, tout le monde de s’offusquer que ça y est « tout ce qui se passe aux Etats-Unis finit par arriver en France », que oui oui les français sont les plus gros consommateurs de somnifères donc forcément il fallait qu’ils se mettent à la morphine, que ma tante Michelle pour une simple douleur d’oreille on lui a prescrit du paracétamol-codéiné on a failli faire d’elle une grande droguée c’est absolument scandaleux les médecins prescripteurs sont des inconscients et les patients consommateurs sont des imbéciles. Voilà, si vous n’êtes pas abonné au Monde (comme moi), je vous ai probablement résumé ce que vous avez peut-être raté.

J’ai envie de vous raconter « ma version » :

Il y a 12 ans, la maladie s’est déclarée. J’ai très vite eu très mal. Je n’y connaissais rien à rien, je n’avais jamais touché un paracétamol de ma vie, j’avais toujours joué à la grosse dure qui n’est jamais malade, qui méprisait les Docteurs et les malades ces espèces fragiles, et qui n’aimait guère les piqures. Mais quand la maladie s’est déclarée, bien sûr tout ça a changé. Le Docteur qui voyait que je me brulais la peau avec du chaud tellement j’avais mal, m’a d’abord proposé du paracétamol-codéiné, ou du tramadol. J’ai pu continuer mes études, me brûler un peu moins fort.

Et puis les douleurs sont devenues beaucoup plus violentes, un joli jour de mai dont je me souviendrai probablement toute ma vie. On a cru à un problème aigu, on est allé aux urgences, on a fait plein d’examens. Et c’est terrible, le temps continuait de passer, et la douleur restait. Quand on me demandait depuis combien de temps « j’avais mal » et que je répondais « 2 mois », on était soulagé. Ce n’était pas grave, cette douleur longue indiquait qu’elle n’était pas le signe de quelque chose qui me ferait mourir. Ce type de réactions de Docteurs commençait à m’inquiéter sérieusement. Je n’envisageais pas du tout de continuer de vivre avec un tel niveau de douleur. Ce n’était pas possible tout simplement, ne pas pouvoir être debout, ne pas pouvoir être assis non plus, ne presque plus dormir, etc. Clairement, j’envisageais de me donner la mort. C’était pour moi une décision raisonnée et raisonnable, dommage certes parce que j’aimais la vie, mais quand ce n’est plus possible de vivre alors il faut mourrir, il me semble. Heureusement, j’ai quand même cherché sur internet (ce fameux internet qu’on critique tant), et j’ai découvert qu’il existait des « centre anti-douleur ». J’ai trouvé ça très curieux, mais je me suis dit que c’était peut-être une alternative à la mort. Il s’est passé 10 mois entre le jour du début de ma douleur atroce, et mon rendez-vous, et probablement 6 mois entre ma prise de rendez-vous, et mon rendez-vous. J’avais appelé tous les centres de ma zone géographique élargie, et j’avais pris le premier qui répondait au téléphone et qui me donnait un rendez-vous. Le centre anti-douleur m’a fait revivre. J’ai commencé des médicaments qui n’étaient pas des morphiniques de palier 3, parce que le médecin procédait avec prudence. J’ai donc gardé mes codéine ou tramadol de palier 2, potentialisés par d’autres molécules. On prescrit souvent 2 molécules pour la douleur, justement pour entre autres amoindrir le risque d’addiction. Pendant 3 ans, j’ai bien vécu.

Et puis la maladie s’est nettement aggravée. Il a fallu changer beaucoup de traitements, certains devenaient incompatibles entre eux, et j’ai commencé la méthadone, pour soigner ma douleur, parce que c’est un morphinique de palier 3. Plein de gens m’ont regardé alors avec des gros yeux : la méthadone, c’est une molécule qui a une Autorisation de Mise sur le Marché pour soigner les addictions à des substances toxiques. Et puis un jour, il a fallu changer pour de la sophidone, un autre morphinique. Le pharmacien, celui-là même qui m’avait dans un premier temps refusé la délivrance de ma méthadone, (c’est interdit) ne me voyait désormais plus comme une junkie mais comme la malheureuse éponyme de l’héroïne de la Comtesse de Ségur. Eh oui, parce que la sophidone, elle, a une Autorisation de Mise sur le Marché pour des douleurs liées au cancer. Et puis ensuite, j’ai pris de l’oxycodone. La même oxycodone à laquelle était devenu dépendant le Docteur Maury, de Un si grand soleil.

Je prends en réalité mon oxycodone à 11 heures, parce que je n’arrive pas à me lever à 8h comme la dame du Monde, parce les nuits sont quand même difficiles, puis je prends mon oxycodone à 23 heures ; 12h après, parce qu’un comprimé dure 12 heures. Je prends toujours la même dose. Jamais je n’ai eu l’envie ni le besoin d’en prendre davantage. Nous sommes NOMBREUX à avoir été littéralement SAUVÉS par la morphine (ou les dérivés morphiniques, c’est la même chose). Les préjugés, et les clichés, entretenus et/ou développés comme dans l’article du Monde stigmatisent les gens qui souffrent et qui ont BESOIN de morphine (ou de dérivés morphiniques, c’est la même chose). Sur le principe, on s’en fout complètement de vos articles putaclic et de votre onanisme intellectuel combiné à un appât du gain dégoûtant. On survit à la douleur avec un grand D, alors ces bassesses…en revanche, pensons aux prescripteurs, qui désormais vont peut-être hésiter, avant de sauver une vie. « Ah j’ai lu dans Le Monde que la dame (forcément en plus, une dame, pas un monsieur) allait devenir dépendante, alors je la soigne un peu moins bien c’est vrai, mais ce sera mieux pour elle ». On ne peut que les comprendre.

Merci de cesser de salir la réputation de médicaments qui assistent des personnes parfois en danger, des médicaments qui sauvent.

Il est 19h, je prendrai ma morphine à 23h, comme tous les soirs. Jamais avant, jamais plus que la dose prescrite.

Share

Pourquoi signer ENCORE la pétition pour un nouveau calcul de l’AAH

Il y a quelques mois, c’était pour son examen au Sénat…maintenant c’est pour son examen à l’Assemblée Nationale…Voilà l’histoire :

C’était une histoire banale d’amoureux. Ma copine Justine, IMC, en fauteuil depuis toujours, me parle de ce garçon, qui d’abord était censé juste être payé pour l’aider dans sa vie de tous les jours. Ma copine Justine est étudiante, et il arrive souvent que des étudiants (valides) fassent ces petits boulots d’aide à la personne pour participer à financer leurs études. Justine payait sa ribambelle d’étudiants à son service grâce aux aides de la MHPD, de la CDAPH, de…je sais plus trop. Elle gérait comme une véritable petite entreprise cet argent destiné à ses employés. Et pour ses frais de vie à elle, y avait une allocation adulte handicapé, maigre mais tant pis.

C’était un beau brun, Julien. Regard ténébreux, classique mais efficace, je le croisais à chaque fois qu’on se voyait avec Justine. Il l’accompagnait pour qu’elle passe du bon temps avec moi, puis il venait la chercher quand on se quittait. C’est vrai qu’il était…lumineux. Le genre de personne qui te marque. Moi aussi j’avais l’impression d’être un peu amoureuse de lui. Moi aussi, parce que Justine l’était. Et c’était réciproque. Son ange gardien lui avait fait une déclaration à demi-mot, perdu entre la réserve imposée par son devoir professionnel, déboussolé par les sentiments amoureux qui font tourner la tête de n’importe quel humain.

Le temps a passé. C’était toujours la même distance entre Justine et Julien. Et moi je me gardais bien de me mêler de leurs choix de vie respectifs. Julien a fini par finir la fac. Bac +5, avec la diplomite que le marché adore maintenant, il a vite trouvé un job, 1700 nets mensuels. Maigre surtout en région parisienne, mais tant pis. C’est là que vivait Justine. Il n’était plus à son service, mais ne voulait pas s’éloigner d’elle.

Le temps passait encore. Je voyais une Justine triste, qui s’accrochait aux études, mais comme cela semblait difficile. Trouver un logement adapté où l’on pouvait aller à la fac en bus ou bien par les seules 2-3 lignes de métro accessibles aux fauteuils. Ne pas aller en cours les jours de pluie. Ne pas aller en cours quand l’ascenseur de l’amphi ne fonctionne pas. Ne pas trouver de stage obligatoire. Bref, dans ma tête Justine roulait avec son nouveau fauteuil tactile qu’elle avait payé en partie de sa poche, dans un désert aride où personne ne la voyait, et où elle ne voyait pas une oasis à l’horizon.

Un jour, je décide de lui reparler de Julien, pour voir. Il avait pris un appartement accessible exprès pour elle. Il lui avait offert un pendentif, puis une bague. « Ce n’est pas une demande en mariage » avait-il précisé délicatement. Julien aussi était malheureux, alors. Il voulait vivre avec ma copine Justine. Et c’était réciproque. Naïve, moi, je déroule alors à Justine un discours sur la confiance en soi, la difficulté pour tout le monde de sauter le pas, les avantages de la vie à deux, et blablabla. Je vois l’oasis pour Justine, elle va être heureuse enfin.

« – Je vais perdre mon AAH.
– Tu vas perdre quoi ?!
– Si je vis en couple avec Julien, je n’aurai plus droit à mes 900 euros d’AAH. J’ai trop besoin de cet argent. Il a payé en partie mon nouveau fauteuil, il paiera le suivant… »

Justine m’explique que son droit à l’AAH, son AAH si précieuse, est calculé à partir des revenus du couple quand on vit en couple. Son Julien gagnant 1700 euros nets, elle perdrait son AAH. Elle avait espéré pourtant qu’il trouve un emploi moins bien payé…Mais tant pis  pour elle et tant mieux pour lui, avait-elle dit. « C’est pareil pour nous tous, de toute façon ».

Sidération.

Il y a quelques mois, une pétition pour un débat au Sénat avait recueilli suffisamment de signatures…Aujourd’hui, une pétition est en ligne sur le site de l’Assemblée Nationale pour envisager de réétudier ce mode de calcul, mais on ne signe pas assez. Ce lundi 17 mai, 22% seulement de l’objectif de signatures a été atteint. Il manque ÉNORMÉMENT de signatures pour que peut-être quelque chose change ; il reste jusqu’au 21 juin 2021 pour que peut-être quelque chose change.

Pour Justine, pour Julien, pour les autres, pour tous en fait, SIGNONS !

 

Pour suivre l’avancée des chiffres : le compte twitter dédié handi_bot ici
À écouter aussi : le billet de Nicole Feronni du 9 décembre 2020

Share

ça y est je lis La peste

Bon, d’habitude j’aime bien aller chercher chez des grands auteurs des ouvrages qui n’ont pas trop percé, Balzac, Le Lys dans la vallée, Stendhal, Lucien Leuwen, Théophile Gauthier, Mademoiselle de Maupin, Rousseau, Emile ou de l’éducation, Proust, Contre Saint-Beuve, etc bref.

Du coup La peste de Camus, c’était trop classique, trop connu, trop « normal ». Alors j’ai lu Camus mais pas La peste.
Et puis début 2020, tout le monde s’est mis à lire La peste. J’ai trouvé ça stylé qu’on se tourne vers des penseurs, surtout au début d’une crise, afin de peut-être, mieux la gérer.
Et puis début 2021, voyant la crise s’enliser, je me suis dit que moi aussi j’allais lire La peste.
Et je vous retranscris un petit passage :

« Le mot de « peste » venait d’être prononcé pour la première fois. À ce point du récit qui laisse Bernard Rieux (ndlr = le docteur) derrière sa fenêtre, on permettra au narrateur de justifier l’incertitude et la surprise du docteur, puisque, avec des nuances, sa réaction fut celle de la plupart de nos concitoyens. Les fléaux, en effet, sont une chose commune, mais on croit difficilement aux fléaux lorsqu’ils vous tombent sur la tête. Il y a eu dans le monde autant de pestes que de guerres. Et pourtant pestes et guerres trouvent les gens toujours aussi dépourvus. Le docteur Rieux était dépourvu, comme l’étaient nos concitoyens, et c’est ainsi qu’il faut comprendre ses hésitations. C’est ainsi qu’il faut comprendre aussi qu’il fut partagé entre l’inquiétude et la confiance. Quand une guerre éclate, les gens disent : « Ça ne durera pas, c’est trop bête. » Et sans doute une guerre est certainement trop bête, mais cela ne l’empêche pas de durer. La bêtise insiste toujours, on s’en apercevrait si l’on ne pensait pas toujours à soi. Nos concitoyens à cet égard étaient comme tout le monde, ils pensaient à eux-mêmes, autrement dit ils étaient humanistes : ils ne croyaient pas aux fléaux. Le fléau n’est pas à la mesure de l’homme, on se dit donc que le fléau est irréel, c’est un mauvais rêve qui va passer. Mais il ne passe pas toujours et, de mauvais rêve en mauvais rêve, ce sont les hommes qui passent, et les humanistes, en premier lieu, parce qu’ils n’ont pas pris leurs précautions. Nos concitoyens n’étaient pas plus coupables que d’autres , ils oubliaient d’être modestes, voilà tout, et ils pensaient que tout était encore possible pour eux, ce qui supposait que les fléaux étaient impossibles. Ils continuaient de faire des affaires, ils préparaient des voyages et ils avaient des opinions. Comment auraient-ils pensé à la peste qui supprime l’avenir, les déplacements et les discussions ? Ils se croyaient libres et personne ne sera jamais libre tant qu’il y aura des fléaux.»

 

 

Share