Archives mensuelles : novembre 2022

Enchaînée, condamnée : hommage à mon covid long

On l’attrapera à tout jamais…
Enchaînés, condamnés…

Vous vous souvenez de ma petite infection à coronavirus ? Janvier 2022. On n’a jamais su ni comment ni pourquoi. Probablement en allant à la pharmacie, malgré le FFP2, là où tous les covidés s’accumulaient pour se faire tester. C’était mes seules sorties, parce que j’étais KO de ma patho, que j’avais plein de travail intellectuel. Oui oui intellectuel, parce que malgré un corps pourri sacrément limitant, il restait un organe là-haut, dominant, le cerveau, qui fumait à toute allure, me donnant la possibilité de trouver équilibre et épanouissement malgré tout. 

Mes encadrants de thèse m’avaient répété « t’inquiète pas Manon, ok ton corps c’est dur, mais ta tête ça va, ça va même très bien, alors c’est bon ». Moi je leur disais « oui mais un jour peut-être ma tête… » et eux d’affirmer vigoureusement (et je kiffais) « mais nonnn Manon, on pense pas au pire, t’as pas eu de chance jusque là mais maintenant c’est bon ».

C’était bon c’était bon…jusqu’à ce qu’un petit virus de merde arrive sur Terre. Une grippette voire rien pour les uns, la mort pour les autres. Une belle loterie, un joli ménage. Et moi dans tout ça ? Janvier 2022, petit covid de merde, méprisable. J’avais eu 3 vaccins avant, chanceuse. Fière que j’étais, mon covid avait duré 5 petits jours de petits symptômes gastro, alors que mon aidant en pleine santé avait été littéralement terrassé : 10 jours de fièvre intense, 3 mois de toux et d’asthme. Un petit covid long ? Le pauvre, me disais-je. Mais quelle fierté intérieure. Moi, la grande malade, j’avais écrabouillé ce petit virus de merde si dangereux en trois coups de cuiller à pot. J’adhérais presqu’alors à la théorie de la grippette. 

Ce faisant, des trucs bizarres arrivaient tout doucement. J’inversais les mots dans les phrases : « je veux la chaise sur le torchon là en haut vite ». Mais oui « la chaise là en haut vite ça coule ». Et les autres de ne pas comprendre. « Ce que tu dis n’a pas de sens ». Ah ? Ah oui. Ah bon, pardon. 

En même temps, sont venues les fautes d’orthographe. Une chaque deux mots allez, la maîtresse est clémente. « C’est pas grave tkt on est sur les réseaux sociaux on peut en faire ». « C’est pas grave tkt c’est un peu de fatigue ». Emmerdant pour moi, moi qui avait misé toute ma reconversion professionnelle sur une activité cérébrale puisque comme cf supra, mon cerveau de guerre fonctionnait du tonnerre. Je passais désormais 4 fois plus de temps à travailler (oui oui ok j’avoue je me chronomètre) et franchement, c’était méga chiant. 

Et enfin, la mémoire. J’étais devenue une passoire. Je radotais radotais radotais, telle feu ma grand-mère partie accompagnée de son Alzheimer bien serré. Je faisais répéter, je confondais tout, mais en étant absolument sure de mon coup. « Josette, elle est partie je te dis, elle a déménagé ! Je te montre son mail tiens, j’y mets ma main à couper ! Ah…non en fait. » Il allait falloir peut-être commencer à apprendre… l’humilité mémorielle… encore un truc bien pratique pour ma reconversion professionnelle.

J’ai commencé à en parler à mes Doctors habituels. Des internistes, des pneumologues, des nutritionnistes, etc, etc. Attendons 3 mois, qu’on me disait. Puis, attendons 6 mois, qu’on me disait.

J’en ai eu marre d’attendre. Surtout pour mon travail, mon gagne pain. 4 fois plus de temps, 4 fois moins de pain.

Le généraliste, partisan de l’existence vraie de formes de covid long, m’orienta vers un service spécialisé. On m’y prescrit un PET scan cérébral. Au moment des résultats, des étoiles dans les yeux du radiologue. « Madame je crois que je vois votre covid long ». 

Bon ben merde. P’tit choc.

On m’avait prescrit aussi un test à effort. Je ne sais même pas pourquoi. Vous savez, mon nouveau cerveau de guimauve ? J’ai fait confiance au Doctor. J’ai même fait le test dans un service spécialisé dans la prise en charge des covid longs (un autre, le hasard, parfois tout le monde a pas le même matos à l’hôpital public). C’était il y a 12 jours. 12 jours, 22 minutes, 35 secondes. J’ai fait un effort surhumain. Un truc de sportif de haut niveau. 3 médecins m’encourageaient. Ils étaient fiers de ma souffrance. Moi j’étais fière d’être la bonne petite patiente compliante. « Ah voilà Madame il a fallu venir jusqu’ici pour voir que vous en étiez capable !! ».

Et voilà maintenant 12 jours que je vis allongée. La tête dans le sable. La haine dans le nez, la colère dans le sang, le feu dans les veines, mais l’impossibilité de m’énerver. Juste aujourd’hui, la force d’écrire ceci. Des gens gentils m’expliquent que ça ressemble à un malaise post-effort. Je repense à tous ces reportages covid longs à la télé. C’était donc ça ? Mais pourquoi diantre fait-on donc faire des tests à efforts à des gens susceptibles d’en souffrir ? C’est ça, la médecine intelligente ? 

J’ai imaginé un instant mon gastroentérologue, en 2009 : « Madame votre coloscopie montre un beau Crohn, nous allons donc vous faire manger 12 pots au feu dans la journée pour prouver que vous aurez 300 diarrhées en 24h, et ensuite nous referons une coloscopie pour constater que votre intestin à morflé, et notre diagnostic sera posé »

À l’air de l’intelligence artificielle, on aurait pu trouver plus fin. 

Ce soir, je suis invitée chez les voisins. Ils organisent ce que j’appelle exagérément une « covid party » : on fait comme avant on kiffe la vie, on se masque pas on bouffe on parle on aime, juste on prie pour que le petit virus de merde ne soit pas là ce soir-là. J’crois que j’vais y aller. Car 12 jours sur mon canapé toute la journée, à cause d’un petit groupe d’imbéciles qui réfléchissent et agissent comme au moyen-âge, c’est beaucoup trop pour mon cerveau, même avec ma nouvelle mémoire de tout petit moineau.

Je resterai rancunière, quitte à prendre des notes très amères ! 

À bon entendeur, ne faites pas de tests à effort, et surtout, quand vous pouvez partout, masquez-vous ! 

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