Archives de l’auteur : Manon

Le python de Philippe

Bon. C’est l’histoire du Docteur Philippe, qui était fan de pythons. Il avait trois terrariums chez lui. Il m’en parlait de ses serpents. Il me disait comme c’était excitant. Ils n’étaient pas venimeux. Donc pas directement mortels. Mais ils pouvaient s’ils voulaient, vous faire un gros câlin, vous entourer, de bas en haut, glisser depuis votre cheville jusqu’à l’aine, puis de la taille jusqu’au cou, et venir vous faire un gros bisou sur la joue. C’était un jeu dangereux. Mais Philippe était joueur.

Je blague.

Philippe était le sénior du service cet été-là. L’unique sénior ça veut dire le boss, pour ceux qui ceux qui ne sont pas familiers avec l’hosto. C’était sympa parce que l’été, surtout août, il n’y a personne à l’Hôpital, alors les Grandes Visites, dont vous avez toujours super peur d’habitude (super bien décrites dans « Carnet de santé foireuse« , de Pozla, allez voir car je ne ferai pas mieux et l’ouvrage est génial) et ben là elle deviennent toutes mignonnes, ambiance familiale. Des copains m’avaient offert une figurine en forme de cheval (cf. photo ci-dessous). Donc Philippe a commencé la Grande Visite par : « Pourquoi un cheval? » Un interne bien élevé a répondu à ma place : « Parce que le cheval c’est trop génial ». Il voulait s’assurer de valider son stage. Mais Philippe préférait quand même les pythons. Vous comprendrez après. Il me demande comment ça va : « Alors comment ça va Madame Manon ce matin ? ». Moi j’en avais marre, je voulais sortir. J’avais fait le point de mes symptômes sur un petit carnet. Telle l’interne qui voulait valider son stage, je fayotais. J’ai tout balancé à Philippe sur un plateau d’argent. J’avais passé une partie de ma nuit sur PubMed.

Philippe a un petit bouc bien taillé. Un peu démodé mais tout le monde dit que ça le rend sexy. D’ailleurs il ne le sait pas, mais son surnom c’est « Docteur Sexy », de la bouche de l’un de ses étudiants. Donc, mon plateau d’argent de symptômes sous le nez, il s’est caressé le petit bouc, avec des mouvements lents et répétitifs, pendant une bonne minute. Il réfléchissait.

« C’est une chronikatose »

C’est sorti comme un gros jet, direct du petit bouc. Puis silence. Puis : « J’y crois pas trop quand même ». Grillé. Pris en flagrant délit de tentative de rattrapage sur « l’annonce du diagnostic » dont on parle tant, le traumatisme des patients, etc… Moi je ne sais pas si j’ai été traumatisée mais j’ai trouvé ça stylé. Il avait sorti ça spontanément, sans rien contrôler, comme un éclair. Un éclair de génie.

Voilà, ce jour-là, cette belle matinée d’été, Philippe m’a fait cadeau d’un de ses pythons. Alors que tous les autres Chers Confrères avaient pataugé, n’avaient pas pensé, n’avaient pas osé, par excès de gentillesse, me donner en pâture à l’animal, lui l’avait fait. Classe. Beau Gosse. Sexy.

 

 

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Le Prince aux petits pois

Bon. J’étais hospitalisée. Promis un jour j’arrêterai de vous parler d’hôpital ; la maladie chronique c’est pas que ça. Mais quand même l’hôpital ça a ses perles. On dira ici pour les besoins de cet article, l’hôpital ça a ses pois, les perles et les pois étant assimilés à des sphères idéales de rayon quelconque R et de centre O. Pas ses poids. Ses pois.

Donc j’étais hospitalisée. « Soyons francs puisqu’on est en France », je me souviens d’un type perfusé en train de balader dans les couloirs, qui assénait ça au tout-venant, avec un petit air de folie néanmoins avenant. Donc, soyons francs, je me faisais chier, sans mauvais jeu de mots. Du coup, j’avais l’ouïe et l’œil à l’affût de tout. Vous visualisez votre gardienne d’immeuble portugaise ? Voilà c’était moi (je me permets ce vieux racisme à deux balles un peu car je suis une « binationale » et que j’aime profondément mes deux pays).

Je voulais les petits potins entre aide-soignants, infirmiers, brancardiers, séniors, internes, externes, savoir qui était quoi, qui faisait quoi avec qui. Et puis y avait les voisins. Les malades donc. Sans se connaître, sans même se voir, on savait vachement de trucs les uns sur les autres. On savait qui crachait, qui toussait, qui avait la diarrhée, qui vomissait, qui râlait, qui pleurait, qui criait. Un jour je me souviens m’être dit : « tiens lui il a moins vomi aujourd’hui, il va bientôt sortir ». J’aimais bien m’imaginer la tête qu’il avait celui qui vomissait. Son métier. Sa vie à côté de la maladie. Je m’imaginais tout. Du SDF au Prince du Qatar.

Un jour y a eu un nouveau voisin en face de ma chambre. En face c’est super comme spot parce qu’on entend beaucoup plus que vomi, pipi, etc : on entend la voix. Alors j’ai tout écouté. D’abord c’était un homme. Y a en premier l’interne qui est venu, il a fermé la porte, zut. Puis y a eu l’externe. L’externe c’est trop mignon. Genre ça oublie de fermer la porte. Et puis c’est tout timide. Ça vous dit : « Bonjour je suis l’externe » alors que potentiellement vous savez pas ce que c’est qu’un externe. Première définition du Larousse : « Élève qui suit les cours d’une école sans y coucher et sans y prendre ses repas. » Donc : il est mignon il suit les cours à l’hôpital mais il y couche pas et il y prend pas ses repas ? C’est pas ça en fait. Bref, peu importe. L’externe, aussi, il ne dit pas : « Je dois vous faire un toucher rectal », il dit : « Excusez-moi, si vous voulez, enfin, si vous acceptez, je vais vous faire un toucher rectal, c’est nécessaire, parce que l’autre jour y a un patient qui est arrivé, à qui j’ai pas osé faire de toucher rectal, il est reparti, et il est revenu cinq jours après avec un abcès gros comme un abricot, et je me suis fait engueuler, donc encore désolé, faudrait que je vous fasse un toucher rectal, s’il-vous-plaît, vous comprenez ». Voilà c’est vraiment trop mignon un externe. Bref, de l’externe je n’ai pas appris grand-chose non plus sur le voisin d’en face, ils ne parlaient pas assez fort.

Et là est venu le diét’ (éticien). J’aimais bien le diét’ il était super sympa. Il parlait fort. C’était pratique. Du coup il a commencé à parler bouffe avec le voisin d’en face : « Vous mangez quoi d’habitude ? vous avez des restrictions particulières ? ». Et le voisin de répondre : « Je commence chaque repas par une assiette de petits pois, j’aimerais continuer comme ça ici, je les aime ni trop chauds ni trop froids, tièdes c’est bien…blablabla…blablabla… ». Vous avez bien lu. C’était 1) un grand bavard 2) il commençait chaque repas par une assiette de petits pois ! Ha-llu-ci-nant. Je vous jure que j’invente pas. Ok parfois quand j’écris ici je mélange un peu les histoires, je rajoute un peu des descriptions où mon imagination de gardienne d’immeuble en kif logorrhéique se perd, mais là non. Le mec commençait chaque repas par des petits pois. Et il voulait que ça continue à l’hôpital. Je sais pas où ira mon blog, mais je me dis que ça pourrait devenir un petit guide pour les malades. Genre comment survivre à l’hôpital, à la MDPH, à CAP Emploi, etc…et ce Prince au petits pois, il aurait peut-être eu besoin d’un guide comme ça. Parce que, pour ceux qui savent pas, l’hôpital en fait c’est pas le Flunch. On choisit pas comme ça en mode posey. D’un autre côté c’était louable. Le mec, dans la rude et dure épreuve de la maladie, poursuivait droit dans ses bottes, le long fleuve tranquille de sa vie. Et voulait donc continuer la routine des petits pois. Moi j’ai cru que le diét’ allait lui expliquer. Que ce serait pas possible. Ben non. Le diét’ qui était super sympa a dit « Monsieur, on va voir ce qu’on peut faire, mais vous savez c’est compliqué…blablabla… ». Le diét’ était sympa et bavard aussi. Voilà. Évidemment, les repas sont arrivés, le Prince aux petits pois n’a pas eu ses petits pois. Il n’est pas resté longtemps. J’ai pas réussi à savoir si c’était à cause qu’il avait pas eu ses petits pois.

Lecture annexes :
La princesse au petit pois de Hans Christian Andersen. Rayon Jeunesse.
L’élégance du hérisson de Muriel Barbery. Une gardienne d’immeuble. Sublime.

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Le monde à l’envers

Bon. Aujourd’hui, petit post court. Consult’ habituelle avec la psychologue du service endocrino (logie). On se voit depuis que j’ai fait une tentative d’autolyse. Autolyse. Du grec αὐτο = auto = soi-même et λύσις = lusis = dissolution. C’est « drôle » comme façon de dire non ? Langage médical. Et c’est toujours plus classe de parler grec que latin. Mais ça fait un peu robot. Genre Bienvenue à Gattaca ou Fahrenheit 451 de Ray Bradury : « Le NIP, non l’IPP numéro 8002459543 s’est autolysé, je répète, autolyse de l’IPP 8002459543« . Pour info le NIP c’est le Numéro d’Identification Permanent qui a été remplacé -inno (vation) de ouf- par l’IPP, l’Identifiant Permanent Patient, et vous avez le même IPP dans tous les hôpitaux de l’AP-HP ! Du coup je pense sérieusement à me faire tatouer mon IPP.
Je pense que « suicide » (du latin sui = soi et caedere = tuer) ça gêne beaucoup de monde. Ça évoque lâcheté, abandon, égoïsme, bref, on juge. Moi un jour voilà il y en a eu trop, j’ai fait un « burn-out médical » comme m’a dit un interne en médecine G qui avait été super sympa avec moi à ce moment-là. J’en pouvais plus des hospitalisations, de la douleur, j’en devenais dingue, j’avais peur d’être hospitalisée chez les « petits fous », alors je voulais directement passer aux petits fours (vous l’avez peut-être déjà compris en lisant ici et , je suis une gourmande). En fait je ne me suis pas trop posé de questions, j’ai juste voulu appuyer sur off et dormir un bon coup. Et me réveiller en bonne santé. Faire un reset quoi. Mais ça les chercheurs, les pharmaciens et les médecins n’ont pas encore inventé, dommage. Maintenant, grâce aux professionnels de santé qui m’ont pris sous leur aile à ce moment-là, et aux petites pilules c’est vrai (petite mention spéciale de gratitude pour celui qui a inventé le Xanax, qui est xanaxtrordinaire) je pète la forme niveau cerveau. Mais quand même, ça reste un truc tabou. Genre vaut mieux pas que ce soit écrit sur vos compte-rendus sinon vous perdez un peu de crédibilité après. Vous avez fait un truc qu’il faut surtout pas faire. Vous êtes louche, peut-être un peu fou. Votre casier judiciaire n’est plus vierge. Moi, toutes proportions gardées bien sûr, je pense qu’on peut le voir d’une certaine façon comme un truc rassurant qui prouve que vous êtes pas les robots de Bienvenue à Gattaca, mais bien un être humain.
Donc bref je disais, après la consult’ avec la psychologue (je voulais pas du tout vous parler d’autolyse à la base), je vais aux toilettes, normal. Et là je bloque sur l’écriteau. Regardez l’écriteau au-dessus du savon. Il y a vraiment quelqu’un qui l’a collé à l’envers ! Du coup je tourne la tête pour arriver à lire. Pas très pratique. Dans cette position, tête à 90° (180 impossible) je me mets à me demander… et si ce colleur d’affiches avait voulu nous ouvrir les yeux… et si c’était le monde qui était à l’envers…

PS : Le Xanax dans les films de Pedro Almodóvar : presque tous les films, soyez attentifs ! Si possible à regarder dans la langue vernaculaire avec les sous-titres.

Si vous lisez cet article et que vous avez envie de passer à l’acte, sérieusement, appelez le 01 42 96 26 26 (SOS Amitié) ou les pompiers (18) pour aller aux urgences, parce que j’ai encore plein de photos drôles et absurdes à vous montrer.
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L’infirmière au bord de la crise de nerfs

Bon. Une fois j’ai eu la permission du 15 août. Pour ceux qui ne connaissent pas le concept, c’est très curieux. On peut être hospitalisé parfois un peu longtemps, les médecins savent pas forcément trop ce qu’on a, on change l’endroit de la perf (usion) sur les bras ou les mains tous les trois jours, on fait des bilans (sanguins) tous les deux jours, et puis bon, à un moment vient le week-end et là tout le monde se dit que la maladie ça suffit, on prendrait bien deux jours de pause nous aussi. Je dis tout le monde pour inclure aussi vos organes vous voyez ? eux aussi ils en ont marre. Donc l’idéal c’est que les organes soient à peu près au top au bilan du vendredi ou du samedi matin. Quand on leur parle vraiment bien fort ça marche. Truc de malade ça. Ensuite il y a l’apparence du malade. Mieux vaut avoir l’air pas trop malade en fin de semaine, pour commencer à séduire le médecin pour qu’il se dise :  » Hum j’vais peut-être l’envoyer en perm’ çui-là « . Perm’ pour permission donc. Par conséquent, le vendredi et le samedi matin, pour la visite du médecin, si vous êtes une femme, je vous conseille de vous maquiller un max. Si vous êtes un homme, n’hésitez pas à sortir le costume. A la question fatidique : « Alors comment ça va ?« , vous répondez avec un grand sourire : « Très bien Docteur ». Pas grave si vous simulez un peu. On verra ça lundi. Lundi vous redeviendrez tout rabougri. Pour les aspects techniques : vous revenez le dimanche soir en fait. Et votre chambre est « à vous » pour tout le week-end au cas où vous allez pas bien. Vous avez l’impression de louer deux appartements. Vous vous sentez riche.
Du coup cette année-là, le 15 août tombait un lundi. C’était vraiment cool. Parce que donc on pouvait demander/le médecin pouvait décider, de non pas revenir le dimanche soir mais le lundi soir ! C’est pas trop bien ça ?! La maladie pouvait prendre son 15 août en plus du week-end habituel ! Genre grâce au hasard du calendrier, vous étiez guéri un peu plus durablement. Franchement merci le 15 août. Bon ça c’était l’explication du concept de perm’ pour les novices.
Je voulais en fait vous parler ici de cette infirmière qui m’a préparé ma sortie en perm’. Elle était grande et mince. Elle était ni jeune ni vieille mais elle avait quand même tous les cheveux blancs. Elle ne parlait pas. Même pas pour dire : « Bonjour, tension-température« . Elle n’était pas méchante. Une fois je lui avais demandé un verre de plus pour un ami qui était resté après 20h, elle me l’avait donné. Donc elle n’était pas méchante (les visites sont jusqu’à 20h, elle aurait pu mettre mon ami dehors à coup de pied à perf’). Ce samedi avant le 15 août donc, elle est arrivée comme prévu avec un grand sachet transparent, façon gros pochon de weed pour les connaisseurs, avec les médicaments nécessaires pour ma permission. En plus elle m’avait fait un petit papier où elle avait écrit à la main. Samedi, dimanche, divisés en matin, midi, soir, et à côté mon menu pharmaceutique. Elle avait une très belle écriture. Mais elle avait pas écrit mon lundi. Ce fameux lundi bonus du 15 août. Alors j’ai eu peur. J’ai craint pour ma liberté. Et j’ai dit : « Mais en fait ma perm’ c’est jusqu’à lundi ». Elle a serré ses mains fort sur le lit, elle a soufflé, elle a regardé ailleurs, et elle a parlé : « Oh mais j’ai pas que ça à faire moi ». Pour la première fois j’avais entendu sa voix. Elle était ni jeune ni vieille, mais elle était fatiguée. Elle n’était pas méchante. Elle ne m’avait pas regardée en parlant. Ce n’était pas à moi qu’elle parlait. Je sais pas à qui elle parlait. J’ai voulu l’aider. Je voulais surtout pas perdre mon jour de liberté. J’ai commencé à dire : « Si vous voulez je me débrouille pour lundi, j’ai ce qu’il faut à … ». J’ai pas eu le temps de finir, qu’elle avait déjà tourné les talons. J’avais vraiment ce qu’il fallait à la maison. Elle est revenue dans ma chambre, une dizaine de minutes plus tard. Le pochon de weed était davantage rempli mais c’était toujours pas de la weed. Sur sa feuille avec la belle écriture, elle avait rajouté le lundi, avec la même belle écriture. Écriture soignée, appliquée, de quelqu’un de calme, qui ne tremble pas. Elle a dit : « Voilà » et à nouveau elle a tourné les talons. Je sais pas si elle a entendu mon « merci ».
Je suis partie en permission moins fière que prévu. Je me suis dit que je n’étais pas la seule à avoir besoin de liberté.

PS : Le super slogan de l’association le rire médecin, des bénévoles qui se déguisent en clown pour faire rire les enfants à l’hôpital : La maladie ne prend pas de vacances, nous non plus.

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Le monstre

Bon. Quand j’étais petite j’avais peur des monstres. A l’âge adulte on utilise encore pas mal ce mot, avec une connotation plutôt bien péjorative. Moi c’est comme ça que j’appelle l’animal qui s’est installé dans mon ventre en 2009. Parfois il dort -comme nous en fait. J’aime bien quand il dort-. Parfois il se réveille. Et parfois il se met en colère. J’ai super peur de la colère du monstre. Imaginez un ours en colère. Il se met debout, il bombe le torse, il vous fixe, là il ouvre hyper grand la bouche et il hurle puissamment, longtemps. Il arrête de hurler, et il se met à courir vers vous avec ses quatre grosses pattes. Vous courez aussi, vous essayez de vous enfuir, il court plus vite, il y a forcément un moment où il va vous rattraper, vous ne savez pas trop quand, pour l’instant l’écart se resserre, vous êtes super stressé… Voila l’effet qu’il me fait le monstre. Parfois finalement il se dit qu’il a plus envie de vous bouffer, enfin pas tout de suite, et du coup il se rendort. C’est le kif maximal. Vous êtes plus du tout stressé. Le ciel pourrait vous tomber sur la tête que vous passeriez à travers un nuage tellement vous avez déjà la tête dans les nuages. Vous planez en permanence. Tout est enchantement. Bon moi pour que le monstre s’endorme vraiment, il a fallu quatre ans avant que l’humiracle arrive. L’Humira en fait. C’est son petit lolo, à mon monstre.

PS : sur la photo le monstre est en soldes, je pense que c’est pour ça que j’ai eu la maladie, comme toute nana qui se respecte j’aime les soldes.

PPS : il y a la scène de l’ours dans le film Croc-Blanc réalisé par Randal Kleiser, adapté du livre de Jack London. C’est à elle que je pensais en écrivant le texte. Mais maintenant je pense à un autre truc. Un de mes blogs de médecin préférés c’est celui intitulé « jaddo » pour « Juste après dresseuse d’ours ». L’auteure nous dit qu’avant de vouloir être médecin elle voulait être dresseuse d’ours. Mais en fait et si c’était ça le métier de médecin ?! Dresser des ours ! Jaddo a tout compris.

PPPS : Je ne fais pas de pub pour le laboratoire qui fabrique l’Humira. C’était pratique de placer le nom pour le jeu de mot.

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Le maître de mon corps

La maîtrise de soi, de ses émotions, et plus généralement la maîtrise de son corps, c’est très à la mode. Moi le maître de mon corps, je l’ai décidé, c’est le Docteur K. Sans vouloir faire dans le larmoyant, c’est grâce à lui que je vis pas trop mal, grâce à lui que je peux écrire ici par exemple. Il gère mon corps comme un magicien. Pourtant les médecins aiment bien dire « je n’ai pas de baguette magique » (ou « je n’ai pas de boule de cristal », vous avez forcément déjà entendu une de ces deux phrases !). Ben lui si. Il manie les molécules comme un virtuose, il est couillu quand il le faut, prudent quand il le peut. Ça fait 5 ans qu’on est ensemble.

J’ai mis du temps à le trouver ; il y en a eu d’autres avant lui. Je suis une femme d’expérience. Trouver le bon médecin c’est comme trouver la personne avec qui on va se marier et/ou faire des enfants, selon les règles normatives de nos sociétés occidentales. D’ailleurs on devrait peut-être inventer un Tinder des médecins. Attention je vais breveter l’idée !

Je ne sais pas par où commencer pour vous décrire à quel point le Docteur K c’est juste le meilleur de tous. Par exemple son dévouement. Je pourrais aller sur synonymo.fr et vous coller une tartine de tous les synonymes de « dévouement », et autres nombreux adjectifs laudatifs. Comme dirait un biologiste, un schéma vaut mieux qu’un long discours, donc pour nous là, le schéma ce sera un exemple. Schématiquement, le Docteur K a un numéro de portable qu’on peut appeler quand on veut si ça va pas. Il dit toujours : « tu m’appelles si ça va pas ». Moi je voudrais aussi l’appeler « quand ça va », mais bon c’est spécial la relation médecin-patient. Un jour où il ne travaillait pas, j’ai appelé ce fameux petit Nokia 3310 d’urgence, il a déboulé de chez lui à sa clinique pour me diagnostiquer en moins de deux des colites néphrétiques dues à deux calculs rénaux. Un virtuose je vous dis ; il est tombé juste direct, grâce à sa performance et à celle de son pote radiologue. Cette fois ça a été. On a retiré tout ça avant que ça s’infecte. Mais si un jour je devais mourir d’une « erreur médicale », je voudrais que ce soit lui qui la commette. Parce que c’est le seul pour qui j’ai vraiment plein d’amour. Je me suis même mise à calculer à mon espérance de vie en fonction de la sienne. Il sait une tonne de trucs. Il sait aussi qu’il y a une tonne de trucs qu’il ne sait pas. Cet esprit socratien, pour moi c’est la base en médecine ; le corps est un tel gros sublime bordel, que devant lui l’humilité s’impose. D’ailleurs, au passage, une petite remarque sur la juxtaposition « erreur médicale ». On emploie souvent ce truc et je crois que les médecins en ont un peu peur, normal, mais pour moi c’est un oxymore. Une erreur mathématique, ok. Parce que les mathématiques c’est précis et rigoureux donc soit c’est juste, soit c’est faux. Mais la médecine, comme c’est ce « gros sublime bordel », ça ne peut pas être juste ou faux. Exception faite du chirurgien qui vous ampute de la mauvaise jambe bien sûr. Mais bon voila, à part ce genre de chose, il faut bien intégrer qu’il n’y a pas d' »erreur médicale ».

Du coup je ne sais pas si je vous décris l’expérience de la colite néphrétique. En fait non. Je vous conseille plutôt de lire dans le noir, d’une seule traite, dans un endroit bien lugubre, très chaud ou très froid, humide, si possible avec quelques odeurs nauséabondes virevoltantes, le bon Thérèse Raquin de Zola. Ressentez tout. Voilà, c’est ça la colite néphrétique.

Donc quand ça va pas, j’écris au Docteur K. Et toujours, il me répond. Il est là en vacances en Italie, posey en train de chiller en bord de mer avec ses ados, de se prendre en selfie avec des oliviers 3 fois sa taille, ça ne capte pas, il devrait se dire « enfin je décroche du boulot ». Mais à l’inverse il décroche encore le téléphone d’urgence et il vous explique, à distance, votre hospitalisation, les décisions médicales qui se mettent en place à 2000 kilomètres de là, donne son avis, et enfin, surtout, rassure. Bon mais du coup on en est où tous les deux ? Je le sollicite quand ça va pas, il me soigne, et il me donne de l’affection, vraiment beaucoup, j’aime ça, et bon sang, pour finir, je le paye.

Il est ma pute.

C’est super bizarre. Qu’on soit bien d’accord je ne mets vraiment aucun jugement dans ce mot « pute ». Mais ça me gêne un peu quand même. De payer pour son affection. Je rêve de lui dire : « Docteur K, appelez-moi quand ça va pas, et à mon tour je vous sortirai du pétrin. » Ce serait trop classe. Il ne serait plus ma pute. Il serait le maître, je serais son disciple.

PS : Pour aller plus loin que le mot « pute », il y a par exemple le concept de transfert chez Freud, probablement transférable à d’autres spécialités que la psychiatrie donc… : « dans chaque traitement analytique, s’instaure, sans aucune intervention du médecin, une relation affective intense du patient à la personne de l’analyste, relation qui ne peut s’expliquer par aucune des circonstances réelles. Elle est de nature positive ou négative, va de l’état amoureux passionnel, pleinement sensuel, jusqu’à l’ex­pression extrême de la révolte, de l’exaspération et de la haine. Cette relation, qu’on appelle, pour faire bref, transfert, prend bientôt la place chez le patient du désir de guérir et devient, tant qu’elle est tendre et modérée, le support de l’influence médicale et le ressort véritable du travail analytique commun. » extrait de Selbstdarstellung.

PPS : Freud aurait peut-être interprété ma dernière phrase : « En se rêvant Platon, le disciple de Socrate, la patiente confirme son désir de transmission du savoir de Socrate, donc de rapport sexuel avec son praticien (cf. les relations entre philosophes dans la Grèce Antique, par exemple avec Luc Brisson), donc la pute se tient. » Ouf. Merci Freud.

 

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La plus belle chambre de l’AP-HP

Bon. Longtemps je me suis couchée de bonne heure, en pensant à s’il fallait écrire cet article ou non. En général entre amis on partage les bons plans, sauf quand ce sont vraiment des trop bons plans. Là on ne veut pas que ce soit pris d’assaut, et on garde son secret pour soi. Mais je sens qu’entre nous il y a vraiment un bon feeling, une amitié naissante et solide est en train de se tisser. C’est la plus belle chambre de toute l’Assistance Publique.

Croyez-moi, j’en ai testé pas mal. Je n’ai pas réussi à laisser mes avis sur booking ou TripAdvisor, je ne comprends pas. Peut-être c’est parce que le standing est trop élevé.

je vous explique tout. Il faut d’abord mettre le prix. Parce que c’est une chambre dans la zone d’isolement, donc une chambre seule (on évite alors les petits ennuis de la chambre double, cf. l’article sur le PVC en chambre double). D’habitude pour une chambre seule, la sécu vous demande de payer une petite partie, mais en zone d’isolement non. Du coup, prévoyez une infection nosocomiale. Argument choc pour chambre chic, même pas besoin de rajouter de fric. Par exemple, un Clostridium Difficile. C’est très facile. Prenez cinq jours d’antibiotique, de préférence un à spectre large. Et après priez très fort pour que le Clostridium pousse dans votre ventre. Si ça ne marche pas du premier coup, il faut réitérer l’étape antibio spectre large, désolée. On n’a rien sans rien. Ensuite, une fois le Clostri bien installé, prouvé par une petite analyse au labo de ville, vous appelez Micheline. Draguez-la un max. Parlez-lui de son île. De ses vacances. Puis demandez la 932. Si elle n’est pas libre, attendez, souffrez encore un peu. Vous ne voulez QUE la 932.

Voilà, c’est comme ça que j’ai eu la 932. C’était magique. De jour comme de nuit. Regardez-moi cette vue. Tour Eiffel bien sûr, mais aussi les tours Montparnasse et Zamansky de Jussieu, le dôme du Panthéon, les deux tours de Notre-Dame, la pointe de la Sainte-Chapelle, le Centre Pompidou. Je présidais Paris. Du côté des commodités, douche à l’italienne, cuvette des toilettes céramique. Service de chambre irréprochable, verres et couverts pour les convives à la demande. Petit-déjeuner continental inclus. Pension complète. Hublots aux portes pour une ambiance yacht façon River Café. Isolation de très bonne qualité. Donc possibilité de fêtes tous les soirs. Avec un supplément « Docteur je n’arrive pas à dormir » obtention aisée de Rivotril, idéal pour les recettes revisitées du Blue Lagoon, le Rivotril remplaçant très bien le curaçao bleu. S’il fallait émettre un tout petit bémol, il faudrait changer le matelas, parce qu’il est un peu creusé au milieu. Mais bon franchement, 10 étoiles sur 10.

Alors, vous allez où pour vos prochaines vacances ?!

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Sortez couverts

Bon. J’avais super peur de cette consultation avec le Docteur DB. Sa secrétaire m’avait dit qu’elle était très occupée parce qu’elle allait bientôt passer chef de service. D’aucuns se diront : « Il est préférable de traiter avec Dieu plutôt qu’avec ses saints ». Moi je me dis que le chef de service a tellement de travail qu’il n’est pas forcément hyper dispo pour être sympa. D’aucuns diront encore : « On ne demande pas au médecin d’être sympa ». Je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette assertion. Je pense qu’un médecin soigne aussi par son charisme, son optimisme, sa bienveillance, son sourire. Alors oui c’est vrai que cela demande de s’engager ; d’avoir de l’énergie et de la transmettre. Il y a des médecins qui ne sont pas sympas dans le but de se protéger. Je comprends. Pour ne pas être tristes à chaque fois qu’ils perdent un patient. Mais bon, le médecin pour moi, le pauvre c’est comme ça, il faut qu’il agisse avec toutes ses tripes. Il est forcément courageux. Un peu comme le malade en fait. Le malade engage ses tripes dans la maladie, il y est obligé par le sort. En outre, ce qu’on dit là pour le médecin vaut pour beaucoup de professions… toutes les professions en contact avec le patient à l’hôpital, toutes les professions du secourisme, nos pompiers… j’en oublie peut-être et je m’en excuse.

Bref, j’avais rendez-vous avec Docteur DB parce qu’avant j’avais eu rendez-vous avec Docteur C, et que pendant la consultation elles s’étaient appelées pour savoir à quelle heure elles allaient à la piscine après l’hôpital, et qu’au passage « J’ai une patiente là bizarre ce serait intéressant que tu la voies ». Je m’étais sentie comme un petit macaque au cirque. D’autant plus que Docteur C s’était comportée avec moi pas du tout selon la description du médecin qu’on a faite plus haut. Donc, d’après moi, Docteur C n’était vraiment pas sympa.

Je suis quand même allée chez Docteur DB, envoyée par Docteur C. Je suis une patiente compliante (pour ceux qui veulent en savoir davantage sur la compliance, un article très intéressant et en libre accès sur EMconsulte). Docteur DB a tout de suite vu que j’avais peur. Je ne sais pas si c’est parce qu’elle l’a vu, mais elle a déroulé la consultation comme une fée. J’étais à Disneyland. Dans le monde des poupées. Je n’avais jamais été confrontée à autant de talent, de délicatesse et de compétence. Elle ne devenait pas la chef pour rien. Elle m’a donné son email pour que je la contacte en cas de besoin. Elle a asséné fermement en même temps : « M’envoyer plusieurs fois le même email ce n’est pas me harceler, c’est m’aider ». Classe. Moi toute polie, je n’avais jamais vu les choses de cette façon. Et vous ?

En fin de consultation, elle me dit qu’elle est embêtée parce que le traitement hormonal que je prends me sert aussi de contraception, mais qu’il va être en rupture prolongée sous sa forme non génériquée, et qu’avec le générique elle a des patientes qui présentent des gros follicules (donc sont potentiellement susceptibles de tomber enceintes). Elle s’inquiète pour moi. Je suis super touchée. Je lui dis : « Mais il n’y a pas de problème, mon mari et moi nous mettrons en plus des préservatifs ». Et là, Docteur DB se redresse bien droite sur sa chaise, lance sa voix plus fort : « Ah mais non, on ne peut pas vivre comme ça ! « . Je vous le répète avec ma voix de patiente apeurée : « On ne peut pas vivre comme ça« .

C’était magique de sollicitude. C’était aussi tellement ironiquement drôle. J’aurais voulu lui dire tout ce que j’avais déjà adapté dans ma vie avec la maladie, et que, si, si, je pouvais vivre comme « ça » ; parmi tout ce qui était contenu dans le petit pronom démonstratif « ça », la nécessité de mettre un préservatif, c’était une goutte d’eau dans l’océan. Mais aucun temps n’aurait suffi pour lui expliquer tout « ça ». Alors j’ai juste souri. J’étais heureuse. Elle était vraiment sympa.

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Le PVC en chambre double

Bon. Elle portait un nom comme dans les Monsieur Madame. Avoir comme voisine Madame Labonne, c’était a priori de bon augure. C’était ma première hospitalisation (on dira « hospit »). J’étais super naïve. Je savais à peine ce que c’était la maladie, alors l’hospit’ encore moins. Madame Labonne était là avec une cirrhose parce qu’il n’y avait plus de place en hépato. Elle me parlait un peu, parfois de choses très savantes. C’était de toute évidence une intello. Elle était arrivée après moi, déboulant en pleine nuit depuis les urgences. Elle avait pris la télé. Ça, ça a été ma première erreur de débutante. Je ne regarde pas trop la télé, je n’aime pas trop le bruit d’une voix en continu. Je préfère lire. Du coup je pensais que dans ce cas, il ne fallait pas prendre la télé. Ô grave erreur ! Parce que Madame Labonne, elle adorait la télé elle… et c’est le premier qui a la télécommande entre les mains qui obtient tous les pouvoirs sur la télé. C’est une sorte de loi de la jungle des hospitalisés. C’est valable même pour les hôpitaux de jour où on est juste en ambu (-latoire). Au mieux on peut essayer de demander de baisser un peu le son. Mais c’est pas toujours gagné. Bref, à l’hôpital, si on n’aime pas la télé, dès que possible on se rue sur la télécommande.

Bon sinon, vous savez déjà que moi, ma maladie, entre autres c’est un problème de pipi-caca (cf. l’article Les toilettes), mais ça ne m’empêche pas d’avoir un trouble maniaque de la propreté. Madame Labonne c’était pas trop pareil. C’était pipi et vomi, plus un peu caca (le fameux PVC du titre), le tout réalisé porte des toilettes ouverte, et même pas dans le trou s’il-vous-plaît, avec une sortie magistrale ensuite cul nu pour regagner son lit. Elle ne nettoyait rien. Clairement la bonne, c’était pas elle. C’était Tatie Danielle à l’hôpital (un film très drôle, tant que vous n’êtes pas dans un périmètre trop proche autour de la Tatie).

Je ne suis pas restée longtemps. Genre trois jours. Mais c’était les trois plus longs jours d’hospit’ de ma vie. Je craignais tous ses passages aux toilettes, je scrutais à travers l’embrasure de la porte pour voir si le crime avait bien été commis comme redouté, et j’allais prévenir le poste de soins pour faire le « ménage ». Une nuit j’ai fait ça trois fois. Je salue bien bas au passage tous les aide-soignants et infirmiers qui n’ont jamais bronché. Je ne salue pas trop la cadre qui n’a pas eu pitié de la jeune petite Manon en formation de maladie chronique, qui suppliait pour un changement de chambre.

Madame Labonne, le personnel a fini par la coucher (le verbe coucher du nom commun couche), l’attacher, la valiumiser. J’aurais écrit cet article en direct avec notre héroïne à côté, à l’époque, il y aurait sûrement eu davantage de colère dans mes propos. Maintenant je repense à Madame Labonne avec une certaine bienveillance. Il y a vraiment quelque chose qui ne devait pas tourner rond chez elle pour qu’elle aime la provoc’ hardcore à ce point. Chaque voisine que j’ai eue après, je compare avec elle. Il y a eu de sacrés numéros. Mais pas aussi crados.

Aujourd’hui, je pense que Madame Labonne n’existe plus. Elle avait le foie de la taille d’une grosse pastèque, elle cachait des bouteilles dans les placards, elle n’était « pas du tout alcoolique ». C’était tendu pour elle. Personne n’est jamais venu la voir. Pourtant elle parlait de son mari, de nombreux amis. Je me dis que peut-être avant la maladie, Madame Labonne n’avait pas été si mauvaise. Elle ne portait peut-être pas si mal son nom. Par contre, juste, dans les Monsieur Madame, en respectant la syntaxe, ça aurait été « Madame Bonne ».

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Le jeu de la biscotte

Bon. C’est un sacré souvenir. J’étais hospitalisée depuis une dizaine de jours. J’avais pas grand chose « dans mon agenda », j’étais sous surveillance. Je m’étais habituée à la routine toutes les trois heures : « Madame Manon, tension température ». Lisez la routine avec l’accent antillais. Les antillais sont les soleils des Hôpitaux de Paris. De la bouche de l’un d’entre eux, le créole est la seconde langue officielle de l’AP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris). Et tous les matins : « Madame Manon bonjour, thé ou café pain ou biscottes » (pareil lisez avec l’accent antillais).

Ce matin-là, vers huit heures, après qu’il y a eu le défilé des bilans (sanguins), du changement de draps, du lavage de sol, du traitement du matin, c’est Loïc qui pousse ma porte et hèle depuis le couloir : « Madame Manon bonjour, thé ou café ». Et puis plus rien. Pas : « pain ou biscottes ». Alors moi, timidement : « thé et…biscottes ? ». Et Loïc de répondre : « Thé ok, mais biscottes non, elles n’ont pas été prescrites ». Vous avez bien lu. Les biscottes n’ont pas été prescrites. Sérieux ?! En fait on sert à quoi nous les chimistes à inventer des molécules ? La médecine c’est de l’épicerie ou bien ? Pardon, c’est que sur le coup, j’étais super énervée, moi le matin j’ai faim !

Finalement Loïc qui était gentil et passionné et patient et délicat et choqué que je sois privée de biscottes, était aller plaider ma cause auprès du médecin. Et j’avais eu mes biscottes (comme vous voyez sur la photo), même double ration. Maintenant je sais que pouvoir manger des biscottes, c’est précieux. Chaque fois que j’en entame une, je cligne des yeux, je pense à Loïc, au médecin qui a prescrit en urgence, au beurre fondant parce qu’il faisait chaud, à la confiture bien sucrée. C’est ma madeleine de Proust.

 

PS : Se délecter toujours avec ce passage de Du côté de chez Swann, de Marcel Proust :
« Arrivera-t-il jusqu’à la surface de ma claire conscience, ce souvenir, l’instant ancien que l’attraction d’un instant identique est venue de si loin solliciter, émouvoir, soulever tout au fond de moi ? Je ne sais. Maintenant je ne sens plus rien, il est arrêté, redescendu peut-être ; qui sait s’il remontera jamais de sa nuit ? Dix fois il me faut recommencer, me pencher vers lui. Et chaque fois la lâcheté qui nous détourne de toute tâche difficile de toute œuvre importante, m’a conseillé de laisser cela, de boire mon thé en pensant simplement à mes ennuis d’aujourd’hui, à mes désirs de demain qui se laissent remâcher sans peine.

Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté ; »
Edit : Un lecteur me fait pertinemment remarquer qu’il est probable que la madeleine de Proust ait parfois été une biscotte, selon ce que tante Léonie avait dans son placard. Merci à ce lecteur érudit ! -> lien Huffington Post
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