Le PVC en chambre double

Bon. Elle portait un nom comme dans les Monsieur Madame. Avoir comme voisine Madame Labonne, c’était a priori de bon augure. C’était ma première hospitalisation (on dira « hospit »). J’étais super naïve. Je savais à peine ce que c’était la maladie, alors l’hospit’ encore moins. Madame Labonne était là avec une cirrhose parce qu’il n’y avait plus de place en hépato. Elle me parlait un peu, parfois de choses très savantes. C’était de toute évidence une intello. Elle était arrivée après moi, déboulant en pleine nuit depuis les urgences. Elle avait pris la télé. Ça, ça a été ma première erreur de débutante. Je ne regarde pas trop la télé, je n’aime pas trop le bruit d’une voix en continu. Je préfère lire. Du coup je pensais que dans ce cas, il ne fallait pas prendre la télé. Ô grave erreur ! Parce que Madame Labonne, elle adorait la télé elle… et c’est le premier qui a la télécommande entre les mains qui obtient tous les pouvoirs sur la télé. C’est une sorte de loi de la jungle des hospitalisés. C’est valable même pour les hôpitaux de jour où on est juste en ambu (-latoire). Au mieux on peut essayer de demander de baisser un peu le son. Mais c’est pas toujours gagné. Bref, à l’hôpital, si on n’aime pas la télé, dès que possible on se rue sur la télécommande.

Bon sinon, vous savez déjà que moi, ma maladie, entre autres c’est un problème de pipi-caca (cf. l’article Les toilettes), mais ça ne m’empêche pas d’avoir un trouble maniaque de la propreté. Madame Labonne c’était pas trop pareil. C’était pipi et vomi, plus un peu caca (le fameux PVC du titre), le tout réalisé porte des toilettes ouverte, et même pas dans le trou s’il-vous-plaît, avec une sortie magistrale ensuite cul nu pour regagner son lit. Elle ne nettoyait rien. Clairement la bonne, c’était pas elle. C’était Tatie Danielle à l’hôpital (un film très drôle, tant que vous n’êtes pas dans un périmètre trop proche autour de la Tatie).

Je ne suis pas restée longtemps. Genre trois jours. Mais c’était les trois plus longs jours d’hospit’ de ma vie. Je craignais tous ses passages aux toilettes, je scrutais à travers l’embrasure de la porte pour voir si le crime avait bien été commis comme redouté, et j’allais prévenir le poste de soins pour faire le « ménage ». Une nuit j’ai fait ça trois fois. Je salue bien bas au passage tous les aide-soignants et infirmiers qui n’ont jamais bronché. Je ne salue pas trop la cadre qui n’a pas eu pitié de la jeune petite Manon en formation de maladie chronique, qui suppliait pour un changement de chambre.

Madame Labonne, le personnel a fini par la coucher (le verbe coucher du nom commun couche), l’attacher, la valiumiser. J’aurais écrit cet article en direct avec notre héroïne à côté, à l’époque, il y aurait sûrement eu davantage de colère dans mes propos. Maintenant je repense à Madame Labonne avec une certaine bienveillance. Il y a vraiment quelque chose qui ne devait pas tourner rond chez elle pour qu’elle aime la provoc’ hardcore à ce point. Chaque voisine que j’ai eue après, je compare avec elle. Il y a eu de sacrés numéros. Mais pas aussi crados.

Aujourd’hui, je pense que Madame Labonne n’existe plus. Elle avait le foie de la taille d’une grosse pastèque, elle cachait des bouteilles dans les placards, elle n’était « pas du tout alcoolique ». C’était tendu pour elle. Personne n’est jamais venu la voir. Pourtant elle parlait de son mari, de nombreux amis. Je me dis que peut-être avant la maladie, Madame Labonne n’avait pas été si mauvaise. Elle ne portait peut-être pas si mal son nom. Par contre, juste, dans les Monsieur Madame, en respectant la syntaxe, ça aurait été « Madame Bonne ».

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