Un double A moi

Bon. Je suis allée à un spectacle de malade, genre un spectacle fait par une nana malade. Elle l’a appelé un « Spectacle de malAAde » parce qu’elle s’appelle Anne-Alexandrine, donc deux A. C’était trop bien.

Je ne sais pas trop vous, mais moi c’est clairement la première fois que je vois quelqu’un débouler au théâtre pour parler de sa maladie, pour mettre à nu (oh elle est en blouse d’hôpital quand même) son handicap invisible avec un sacré courage. Ouais parce qu’elle ne se met pas à pleurer sur scène ou faire d’autres scènes quand elle fait tous ses coming out sur sa vie perso. Moi par exemple, quand je vous écris là sur le blog, je me cache derrière mon écran, derrière un pseudo, derrière plein de trucs. Rien ne dit qu’entre deux phrases de blagounettes je ne vais pas pleurer un coup, me dire que c’est pourri tout ça, que je préfèrerais carrément être blogueuse mode (ouais hein) ou voyages (voilà quoi) plutôt que de parler de la maladie sale et de l’hôpital.

Donc elle non. Elle ne pleure pas. Elle a plusieurs maladies dont une qui impacte sa diction. Du coup pour le théâtre on pourrait croire que c’est un handicap total : ben non. Elle parle lentement, distinctement, elle parle très bien même. Y a plein d’émotions sur son visage qui sont partagées aussi. La salle est plutôt petite, même myope vous la voyez bien. Elle vous regarde elle aussi, elle vous fait parler, elle descend parmi le public, elle vous claque des bises au hasard en plein spectacle. Vous la regardez performer et vous vous souvenez qu’avant ce cirque (un joli cirque) elle était avocate. Ça se tient. On n’aurait pas aimé être face à elle dans un procès.

Elle nous parle pas mal de sa maladie numéro deux, la sclérose en plaques. Elle nous explique ses symptômes. Elle rit de ses symptômes. On rit aussi avec elle. C’est stylé. Elle raconte d’une part des choses très personnelles : par exemple, comment on fait pipi dans un pot au labo d’analyses médicales. Alors j’en profite pour vous glisser mon avis très personnel mais très universel sur le « pipi au labo » :
– Le médecin vous prescrit des analyses à faire « au labo d’analyses ».
– Souvent vous pensez que c’est une simple prise de sang.
– Souvent le médecin ne vous dit pas qu’il faudra faire pipi dans un pot.
– Mais au fond de lui il sait et il vous aura fait un petit sourire en coin.
– Donc vous au labo vous découvrez qu’il faut faire pipi (un indice, vous regardez votre ordo, si ça se termine par -urie c’est bingo pour le pipi).
– Et là Karine du labo va vous tendre un mini pot de allez 2.5 centimètres de diamètre et vous dire « Les toilettes à gauche au fond du couloir ».
– Si vous êtes à Paris, les toilettes ne font même pas 2.5 mètres cube et vous ne pouvez pas faire la chose sans toucher tous les murs de ce foutu endroit étriqué.
– Et donc évidemment, sclérose en plaques ou pas, tremblements ou pas, rassurez-vous, tout le monde se met du pipi partout (=le fameux petit sourire en coin du médecin).

Pour maximiser vos chances de viser juste dans le pot, moi je vous conseille donc de tester tous les labos de votre ville et de leur demander dans quel genre de pot on vous fait pisser. De même pour le matos pour le caca. Y a des labos plus ou moins sympas. Vous choisissez bien entendu celui qui vous offre la plus grosse. Y a des labos qui fournissent en même temps que le pot un sac opaque pour protéger votre pudeur. Donc voilà. Pendant ce spectacle de malAAde, vous en apprenez un peu sur le pipi dans le pot. Mais finalement pas tant que ça sur la vraie vie de Double-A. Elle explique 4 ou 5 symptômes, mais sur le reste elle reste discrète, n’en faisant pas un spectacle voyeur, et respectant la pudeur, un peu comme le sac opaque du labo d’analyses élégant.

Mais vous êtes super curieux. En fait moi j’étais impressionnée et donc à l’affût de tous les points communs entre nous. On a toutes les deux environ trente ans, on est brune, on est pas trop grande, on est malade depuis environ le même temps. Elle a plusieurs maladies déjà et moi aussi et du coup c’est drôle tout ça. Elle dit plein de trucs où vous vous dites « Tiens, moi aussi ». Bref, je me suis dit cette nana, c’est un double à moi. Ok un double DE moi en principe, mais je vous rappelle qu’elle est un double A. A moi et aussi à vous tous, même les pas malades, même ceux qui vont juste en hospit’ une fois tous les 10 ans pour leurs colites néphrétiques. Vous vous sentez pareil.

Du coup ça confirme ce que je me dis souvent. Son spectacle ce n’est pas le spectacle de quelqu’un qui a une sclérose en plaques (= une SEP), c’est celui de quelqu’un qui est malade. Je me dis souvent qu’on serait plus forts si on était moins communautaristes dans les maladies. Parfois il n’y a aucun symptômes communs entre deux maladies de Crohn. Il peut y avoir un gros gars constipé pendant trois semaines par une sténose terrible et une crevette toute maigre qui n’a pas grandi parce que tout ce qui rentre dans son corps sort aussitôt, façon « Boire en pissant », une expérience des 101 Expériences de philosophie quotidienne de Roger-Pol Droit. Parfois les conséquences d’un Crohn stabilisé sont plus proches de celles d’une SEP stabilisée. Bref, il faut carrément assister au spectacle de cette artiste, et pas aller voir « une nana qui raconte sa sclérose en plaques ». Parce que évidemment c’est aussi le spectacle d’une véritable artiste, qui est malade, et pas juste le spectacle d’une nana malade.

En sortant du spectacle, vous vous êtes trouvés plein de points communs avec Double-A et vous êtes super contents. Mais y a une question qui vous taraude. Vous vous dites qu’en fait en fond d’écran derrière tout ça, y a un truc encore plus invisible que la maladie invisible, un truc qui est une sorte de Graal que tout le monde veut atteindre, malade ou pas : l’acceptation. L’acceptation de sa situation, quelle qu’elle soit. En ce moment la mode c’est vachement la méditation pour y arriver par exemple, ou la sophrologie (genre toutes les pubs pour devenir sophrologue dans le métro).

A l’époque où Artus était beaucoup moins connu que maintenant (ouais moi je vais surtout voir des petits acteurs qui montent pour les soutenir, du coup vous savez déjà ce que deviendra Double-A plus tard) je l’avais vu au très intimiste café Oscar pour une série de Volte Vannes. Il avait fait son sketch Le Gaybecois. Alors pour ceux qui ne connaissent pas Artus, Artus fait des horribles blagues d’humour intensément noir (aussi intense que le noir de ses vêtements, genre lavés uniquement avec du Vanish pour faire ressortir la couleur) sur le handicap et les handicapés. Perso je déteste. Après clairement le gaillard a du talent, et il a l’air sympa, donc on lui pardonne. Et on lui fait confiance sur le reste. Donc dans ce sketch, Artus nous faisait répéter tous en chœur « J’accepte ». Au Café Oscar on n’était pas nombreux mais on acceptait super fort sous son impulsion. Je répétais assez bêtement moi. Et je crois qu’il m’a fallu le spectacle de Double-A pour enfin comprendre le spectacle de Artus. On a l’impression qu’elle impulse la même chose cette Double-A. Invisiblement, tout au long de son spectacle, en fond d’écran, telle Artus ou un chef d’orchestre elle lève les bras vers vous, elle vous dit « J’accepte » et vous le répétez avec elle à l’unisson. Et ça résonne encore.

Par exemple, dans la queue pour entrer dans la salle voir Double-A, y avait une mère qui criait sur sa fille parce qu’elles s’étaient trompées de queue parce qu’elles étaient venues pour assister à 1984, de Orwell. La mère défonçait la fille juste pour une erreur de file. J’ai eu envie de lui suggérer que Double-A c’était bien aussi. Cette dame aurait bien fait de venir accepter un peu plus avec nous. C’était pas si grave cette erreur de sa fille. Sûrement moins pire que les erreurs qu’elle est allée faire devant l’œil de Big Brother.

Moi depuis ce spectacle, je vis sous l’œil de cette Big Sister. Je repense à plein de trucs qu’elle a dits. Je ne vous dis pas tout pour vous inviter à aller la voir vous aussi. Elle sera au festival d’Avignon l’an prochain, on lui souhaite de briller.

PS : Double-A a participé au concours « talents de patients » du leem (=les entreprises du médicament), et c’est grâce à ça que j’ai entendu parler d’elle. Elle n’a pas gagné, mais ce ne sont pas toujours les gagnants qui gagnent. On ne connaît guère plus que Olivia Ruiz de la Star Académy numéro un…

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