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Je me suis enfuie de l’hôpital

Bon. C’était une belle après-midi. L’été durant lequel j’avais commencé mon blog, pour raconter un long et dur été à l’hôpital, doucement s’éloignait, ne laissant plus la place qu’à des souvenirs heureux. Presque plus que. C’est toujours mouvementé les étés.

Ce jour-là, j’allais comme une fleur – de l’été – faire une petite échographie de contrôle dans un « petit CHU de campagne » (je suis restée parisienne dans l’âme), entre deux glandouilles à la plage. Tout allait pour le mieux, dans le meilleur des mondes.

A l’échographie néanmoins, le radiologue m’a assez vite trouvée suspecte. Livide. Il répétait : « Vous êtes sure que ça va ? » Et moi, m’accrochant à mes rêves, les yeux à demi-fermés, le teint blafard, la voix angélique : « Oui oui ça va ». Puis malaise avec perte de connaissance. La douleur était trop forte. Et j’ai toujours été mauvaise actrice.

Je m’étais déjà fait quelques copines dans cette petite structure de province (je suis restée parisienne dans l’âme). Le radiologue m’a envoyée voir un urgentiste, moi je suis passée voir ma copine de l’accueil d’abord.

Au diable les médecins, « quand on veut on peut », et moi je veux être en bonne santé, donc je peux, et puis c’est tout.

La copine de l’accueil n’a pas trouvé bon non plus de parlementer, et, elle aussi, a voulu que j’aille « aux urg’ ». Ça y est, je connaissais un nouveau surnom pour un truc de l’hôpital, je me perfectionnais, tout allait bien.

« Les urg’ » m’a-t-on dit sur le ton de quelqu’un qu’on sermonnerait parce qu’il aurait voulu acheter trop de Dragibus : « C’est 4h d’attente hein ». Manquait plus que le « nananère ».

Je me tourne vers la salle d’attente. Que des chaises qui font mal au dos. Je suis une adulte, j’ai appris à être docile parfois, et je me couche donc sur trois chaises alignées ; ça coupe un peu le dos. J’attends comme un animal en cage qui va passer à la casserole. Je glane discrètement des informations chuchotées par les secrétaires médicales :

« C’est qui celle qu’é allongée là ? »
« C’est une patiente du Docteur G. »
« Ouh la, le Docteur G c’est lui qui est d’astreinte justement ? »
« Ben tant mieux pour elle, mais attention il s’énerve si on le dérange pour lui dire qu’elle est là, il est très occupé cette après-midi. »

Échange de regards terrorisés entre dames de l’accueil. Le Docteur G ne doit pas toujours être un ange avec ces mesdames. J’avais déjà remarqué que sa consult’ était bien en retard, je pensais que c’était à cause des patients des urgences justement. J’avais déjà remarqué aussi que le Docteur G semblait dévoué à répondre à mille coups de téléphone pour avis pendant sa consultation. J’ai voulu continuer à croire que le Docteur G était un bon Docteur.

Néanmoins, le temps avançant, j’ai commencé à flipper, et à avoir sérieusement beaucoup plus mal. Allongée sur les trois chaises accolées qui lacéraient mon dos, on n’arrangeait pas grand chose. Aucune nouvelle du Docteur G ou d’un autre Docteur d’ailleurs. Ah, comme je regrettais mon Docteur K.

Le temps long continuait d’avancer, non pas tant bien que mal, mais plutôt mal que bien, et je n’avais encore vu personne. Je n’avais même pas encore le petit bracelet blanc autour du poignet avec mon numéro de robot malade. J’étais encore « une humaine » avec un libre arbitre. J’ai entendu des gens s’impatienter dans la salle d’attente auprès d’une gentille dame de l’accueil. Finalement, le scanner était en panne.

D’expérience je vous le dis, si scanner marche pas, IRM y a pas. C’est La Fontaine version moi.

Donc voilà, j’attendais seule avec ma conscience et ma douleur, mais j’étais encore une être humaine. Le médecin qui m’avait déjà vu quelques fois était là. Mais finalement il me faisait peur parce qu’il faisait peur aux gentilles dames.

Avant même d’avoir parlé avec qui que ce soit, il n’y avait plus de confiance dans cette structure-là.

Pour la première fois, je me suis enfuie de l’hôpital.

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Pour qui le bloc ?

Bon. Personne n’a jamais trop envie d’aller au bloc. « Le bloc » c’est le bloc opératoire. Il y a pas mal de trucs de bloc qui peuvent être faits en ambu (=ambulatoire = vous ne dormez pas à l’hôpital). Mais même en ambu, souvent on vous donne une chambre, pour l’avant bloc et l’après bloc. Histoire de se désaper et de revêtir la blouse fleurie tranquille, oklm.

Pourquoi il y a souvent des petits motifs sur les blouses des patients ? Et pourquoi la couleur de base c’est toujours le bleu ?
Bon passons ces questions trop compliquées.

Mon père m’avait accompagnée ce jour-là. Mon père est plus âgé que moi ; je préfère jouer la franchise avec vous.
Et tout le monde sait que ce sont les vieux qui sont malades, et les jeunes qui sont en bonne santé, n’est-ce-pas ?

Alors on attendait tous les deux dans la chambre avant que j’aille au bloc. Je repoussais le moment de la blouse, parce qu’après on a froid, et on est moche. Et j’aime être jeune et belle. Et en bonne santé.

Donc on rigolait habillés en gens normaux dans la chambre, seuls. Soudain, une blouse blanche a déboulé, et nous a vus là, à oser s’amuser, dans une chambre d’hôpital. Vous n’imaginez pas la rouste qu’a prise mon père :

« Monsieur, pourquoi vous n’êtes toujours pas en blouse ? Tout le monde vous attend ! Vous allez retarder le planning, vous ne vous rendez pas compte ! »

Et bim ! Mon père gêné. Puis la bouse blanche gênée. Moi pas gênée.

La blouse blanche a eu un moment de lucidité : « C’est bien pour vous, Monsieur ? »

Et moi : « Oui c’est pour lui. »

Et mon père commençant à paniquer, me montrant du doigt : « Non c’est pour elle. »

Bon. Je suis devenue sage. Fallait bien accepter.
J’ai enfilé la blouse bleue, et j’ai suivi la blouse blanche, peu fière de s’être ainsi fait berner.

PS : pour les lecteurs qui lisent un peu l’anglais, un article récent du New York Times sur une Ecole de Design travaillant le style de la blouse du patient !

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On peut vous prendre en photo ?

Bon. J’étais en HDJ = hôpital de jour. Quand des soins durent un peu longtemps, mais que y a pas besoin de dormir la nuit néanmoins, « on a HDJ ». C’est un peu comme « avoir piscine ».

J’étais en HDJ ce matin-là. Ça défilait pas mal, c’était efficace. « Tension-température », bilan (=bilan sanguin) pour avoir les résultats en 2h. Passage de l’externe : « Bonjour je suis l’externe » ; clairement mes préférés ces petits mouflets tous chouchous en phase d’apprentissage. Passage de l’interne, plus sérieux : « Je vais vous examiner. » Examen complet. Notamment dermato. Test caractéristique de ma maladie sur la peau. Très facile à réaliser. L’interne est épaté : « Très impressionnant. Vous n’aviez jamais remarqué ça ? » En fait non, je ne m’amuse pas à faire des tests dermato sur ma peau seule chez moi pendant que j’écris du blabla sur le blog. En fait si, j’avais un peu remarqué mais je croyais que c’était normal. Petit sourire de l’interne. Examen terminé. Je reprends mes occupations de malade.

Passage de la chef de clinique. On rigole beaucoup moins avec la chef de clinique. La chef de clinique c’est une espèce de surhumain surpuissant – dopé à la cortisone c’est pas possible autrement – qui sait tout sur tout. On sait que c’est la chef de clinique parce que c’est écrit sur sa blouse au niveau de la poitrine. C’est un peu gênant de regarder cette zone du corps, donc je vous conseille d’avoir l’œil furtif, et un bon ophtalmo. Donc la chef de clinique déboule avec toute sa clique d’internes, d’externes, dans ma chambre. On dirait une Grande Visite. Sauf que y a pas de Grandes Visites en HDJ. Alors je trouve ça bizarre.

La chef de clinique me dit : « On peut voir ce que vous avez fait avec l’interne ? »
Je me déshabille et je montre. Je ne suis pas pudique. J’assume ce que j’ai fait avec l’interne.
Elle dit elle aussi : « Très impressionnant. »

Puis, embarrassée : « Je peux vous prendre en photo ? »
Se justifiant : « C’est pour montrer aux étudiants. »
Me rassurant : « On ne verra pas votre visage. »

Bon sang. Moi qui impressionnais la chef de clinique et toute sa clique. Moi qui me faisais shooter à l’hôpital par un iPhone et pas par de la morphine. Moi à qui à l’hôpital on me demandait mon autorisation pour me faire quelque chose. On ne verrait pas mon visage ?!

J’ai pas osé demander à ce qu’on voie mon visage. Je me suis dit que j’aurais qu’à écrire sur un blog. Comme ça un jour peut-être d’autres gens voudront me prendre en photo. Et qu’ils voudront aussi ma tête.

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Noël à l’hôpital

Bon. Il y a des dates-clés comme ça à l’hôpital. Le 15 août, les fêtes de fin d’année, le 1er mai. Des dates vides, creuses. Personne ne veut être malade à ces dates-là.

En général, vous trouvez un peu plus facilement un rendez-vous pour une imagerie, un examen désagréable comme une coloscopie, ou d’autres joies de la médecine, autour de Noël. Si vous êtes vraiment malade, c’est pratique. Eh oui, parce que la vraie maladie ne s’arrête pas à Noël bien sûr.

On a déjà expliqué sur ce blog le principe de la permission à l’hôpital pour les week-ends, les jours fériés. Tous les soignants font un effort pour gérer une sortie provisoire du patient, et il revient juste après sa pause passée hors de l’hôpital. C’est un petit sursis. Ce n’est pas toujours possible, quand on est dans un état trop instable par exemple.

Je regarde la série Plus Belle La Vie depuis 10 ans. Voilà c’est dit. Je ne savais pas comment vous le dire, je ne rate pas un seul épisode. Pour la première fois en dix ans, en regardant un épisode de la semaine dernière, j’ai pleuré. J’ai pleuré quand le petit Octave hospitalisé a demandé au Père Noël qui passait dans les services de pédiatrie, une fusée pour sa maman, pour qu’elle vienne le voir au ciel quand il serait une étoile.

Le soir de Noël à l’hôpital, je rêve d’être la mère Noël, d’aller serrer les petits Octave dans mes bras, et de leur dire que tout ira bien. Mais ce n’est pas possible, les patients ne peuvent pas se mélanger comme ça.

Le soir de Noël à l’hôpital, on a tous quelque part au fond de nous, petits ou grands, une âme d’enfant.

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Le bon secrétaire

Bon. Y a un métier à l’hôpital dont on parle peu. On cherche souvent « un bon médecin ». On fait bouger tout son carnet d’adresses, on se retrouve à appeler des gens qu’on n’aurait jamais osé appeler. On ne pense jamais au secrétaire du fameux soit-disant bon médecin. Enfin pas assez. Parce qu’en fait ça peut tout changer. Le bon médecin devient moins bon si son secrétaire oublie votre bilan (=votre prise de sang) sur le fax. Le bon médecin devient moins bon si son secrétaire vous dit « Je vous tiens au courant du résultat de la biopsie » alors que ça fait…(je repense à toi, je calcule dans ma tête, voilà) un peu plus d’un an que j’attends qu’on me tienne au courant du résultat de la biopsie. Évidemment on peut aussi appeler le secrétaire pour lui rappeler de vous tenir au courant, faire appeler directement l’anapath’ (=anatomopathologiste), etc. Mais on apprécie vraiment, un bon secrétaire.

Du coup je vous prends l’exemple de Stéphanie, qui m’enchante littéralement à chaque fois que j’ai besoin d’elle. Stéphanie c’est la secrétaire de mon médecin qui me prescrit mon médicament en ATU (heureusement que j’écris ce billet maintenant parce que figurez-vous que, ça y est, mon ATU est passée en AMM, bravo à ANSM de bien bosser, de lire le blog, de bien bosser, de lire le blog…) Donc quand je téléphone à Stéphanie, je dis bonjour, je dis que je suis une patiente du docteur C, j’expose la raison de mon appel et après environ douze secondes elle me coupe systématiquement et elle me fait : « Vous êtes Madame Manon ? » Je la soupçonne de jouer à deviner comme ça tous les patients pour pimenter sa journée. Donc je ne me présente jamais, pour qu’on puisse jouer. Elle ne s’est jamais plantée avec moi. Pourtant on s’appelle genre que tous les trois mois, si tout va bien. Quand je lui dis « oui, encore bravo pour avoir deviné » elle sourit. Vous avez remarqué comme on entend au téléphone quand quelqu’un sourit ? Le sourire c’est important.

Donc là, je ne voulais pas prendre rendez-vous, ni le CR (=compte-rendu) de l’anapath’ sur ma dernière biopsie, il y avait un problème avec le renouvellement de mon ATU. Pour changer… C’est la pharmacie hospitalière qui m’avait avertie qu’elle n’avait rien reçu, même si ouf, pour rajouter un mois de traitement, elle avait pu s’arranger. Pourtant avec le Docteur C et Stéphanie, on avait lancé la demande un mois avant la fin de la précédente ATU. C’était un vrai travail d’équipe. Mais ça avait planté on ne sait pas où, et je risquais de me retrouver sans traitement. Ça ne plaisait pas à Stéphanie ça. Stéphanie m’a dit « Je vous rappelle ». Alors voilà, en toute amitié, en toute honnêteté, en toute humilité, en toute sympathie, en toute rigolade, quand quelqu’un, n’importe qui, à l’hôpital, vous dit : « Je vous rappelle », très souvent ça veut dire : « Next« . Désolée pour ceux qui n’ont pas suivi cette émission très intéressante. Peut-être qu’il aurait fallu un peu plus d’hospitalisations…? Bref donc moi quand j’entends « next », j’ai pris pour habitude de me mettre des rappels, pour moi, rappeler. C’est même une externe sympa qui m’avait dit ça quand j’étais « une débutante » : « C’est l’hôpital hein, faut harceler. »

Ben Stéphanie, y a jamais besoin de la rappeler, de lui rappeler. Sur ce problème particulier, elle m’a appelée tous les jours, pour me tenir au courant, pendant genre une petite semaine. Si j’entendais pas son appel elle laissait un message. Puis elle m’envoyait un mail pour me dire qu’elle m’avait laissé un message. Et elle mettait l’ordo en PJ. Puis elle me rappelait pour me dire qu’elle m’avait envoyé un mail et qu’attention il pouvait être allé dans les spams. Voilà vous avez compris, elle est en or la Stéphanie du Docteur C. Et quand tout le monde dit que le Docteur C est super (c’est vrai), j’aurais bien envie qu’on rende à César ce qui est à César, et qu’on souligne qu’il y a aussi, Stéphanie.

Maintenant après avoir encensé Stéphanie, j’ai envie de vous raconter un autre secrétaire. Cette fois le secrétaire est un homme, parce que non, ça n’arrive pas qu’aux femmes. Ça arrive même à des hommes très bien, puisque Wikipedia dit que Stéphane Plaza avait envisagé dans un premier temps de devenir secrétaire médical. Les habitués de « Recherche appartement ou maison » et compagnie reconnaîtront bien là la qualité de commère éventuellement nécessaire au métier de secrétaire. Alors c’est parti. Moi aussi quand je m’ennuie, je peux enclencher mon mode commère, on dira plutôt ici, le mode furetage, pour votre plus grand plaisir, lecteurs !

Je sortais du Docteur et il fallait reprendre rendez-vous au « Bureau des rendez-vous », un bureau avec une porte fermée et une petite vitre, sur laquelle étaient à demi-collées des affiches de l’AP-HP. J’ai regardé rapidement à travers la vitre de la porte fermée, il était midi. Je demande en face à l’ « Accueil des consultations » si le « Bureau des rendez-vous » est parti manger. L’accueil me dit : « Non normalement il est là ». Je retourne voir par la petite fenêtre. Effectivement ça bouge à l’intérieur, et la porte s’ouvre, un homme qui se tient bien droit apparaît, une main sur la poignée de la porte, l’autre main qui touche furtivement sa blouse. « Madame ? » dit-il, pendant qu’une autre madame, en blouse aussi, sort furtivement d’un semblant d’arrière bureau du « Bureau », en ne se tenant pas très bien droite, et, disparaît. J’ai bien aimé ce truc bizarre.

J’ai dit que le Docteur m’avait dit de reprendre rendez-vous dans trois mois. Il a explosé de rire : « Ah les médecins ». Pendant qu’il fouillait le planning, on a sympathisé. Il m’a dégoté un rendez-vous vraiment stylé, à trois mois et demi. Il m’a dit tout fier : « Ah je ne peux pas mieux faire ! » A l’heure où l’hôpital aussi se met à Doctolib, ce petit coup de pouce/pousse, qui ne peut être que le fait d’un humain, m’a fait penser au jeitinho brasileiro. Le jeitinho c’est tellement brésilien qu’il vaut mieux aller au Brésil pour vraiment comprendre ce que c’est. C’est plus prononcé à Rio qu’à São Paulo. Mais bon, vous avez compris en gros.

Comme si ce service/jeitinho ne suffisait pas, le « Bureau » ajoute : « Vous avez raison de consulter ce médecin, c’est le médecin des stars !  » Tiens donc. Et là tout fier de m’énumérer quatre noms de stars qui viennent dans le service. Moi je demande : « Hum, mais vous avez vraiment le droit de me dire ça ? » Et lui, explosant de rire, encore : « Bien sûr que non, mais vous n’êtes pas paparazzi, sinon on se ferait de suite chacun 10 000 euros ». Il ne croyait pas si bien dire… notre bon secrétaire ! Le voilà en vedette sur le net ! Heureusement pour tout le monde je n’ai pas (encore trop) la dalle et je ne vous livre pas, en pâture, le noms de ces stars, qui affectent maintenant, mon em-pathie.

Fallait finaliser la discussion avec le « Bureau des rendez-vous ». Vous voyez venir le problème ou pas ? Il avait la langue bien pendue notre bon secrétaire, alors je lui ai dit que je ne voulais pas lui donner mon nom, si c’était pour le répéter, au tout venant. Il a ri encore : « Ah mais vous, vous n’êtes pas célèbre ! » Heureusement. J’ai été obligée de donner mon nom. Mais en échange j’ai exigé son prénom. Je vous le livre en partie : ça sonnait comme Blaise. Vraiment à l’aise, ce Blaise !

Je ne lui ai rien dit pour le blog évidemment ; ça reste entre nous, tout ça 😉

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Elle attendait Godot

Bon. Un jour j’ai eu envie de vacances. Le train-train quotidien métro-boulot-dodo j’en étais lasse, alors je me suis fait un séjour aux maladie infectieuses et tropicales. Vous avez compris pourquoi « et tropicales ». J’avais envie de vacances j’ai dit.

Alors je sais pas vous, mais moi je fantasmais vachement sur ce type de service. D’abord pour faire plus in on dira maladies inf’, mais on garde bien les tropiques en tête. Donc j’étais super curieuse, je m’attendais à des portes SAS, fermées à triple tour, des odeurs de javel puissantes, toutes les blouses blanches en scaphandre type Thomas Pesquet quand il faisait une sortie dans l’espace, et les patients retranchés dans leurs chambres individuelles, cela va sans dire. Je voulais des vacances, je ne voulais pas m’encombrer du problème du PVC en chambre double.

Je me suis fait accueillir par Marie-Thérèse. Elle n’était pas en scaphandre. D’ailleurs aucune des blouses blanches ou bleues n’étaient en scaphandre. J’étais super déçue. Je lui pose des questions pour essayer quand même de satisfaire mon fantasme :

« Qu’est-ce qu’il y a comme autres maladies ici ? »

Marie-Thérèse : petit sourire amusé, presque clin d’œil en mode t’inquiète-poupée-tu-vas-pas-t’ennuyer, lentement :

« Nous avons de tout. »

(Accent antillais. Cliquez sur le lien si vous me trouvez un peu suspecte genre raciste. Je dis pas ça façon sketch des Inconnus sur l’hôpital. S’il y avait la fonction « ajouter un hyperlien sonore », je voudrais vous faire l’accent parce que c’est beaucoup plus chantant avec. Ou bien faudrait que je me lance dans du stand-up. Bon pas grave, faites-le vous.)

Je me suis sentie au supermarché. Y avait de tout, toutes les tailles, toutes les marques, toutes les saveurs. Ça allait être de belles vacances. Marie-Thérèse voyait que je voulais en savoir plus, elle hésitait parce que peut-être elle avait pas trop le droit de dire. Mais je sentais qu’elle sentait que je kiffais, et je crois qu’elle kiffait aussi. Alors elle a repris :

« Des virus zika, des fièvres inexpliquées, des tuberculoses.  »

(Toujours accent antillais)

Elle avait dit « tuberculose ». Ça a fait tilt dans ma tête parce que mon Humiracle et les tuberculoses, ça ne faisait pas bon ménage (voir par exemple cet article de Clinical Infectious Diseases de chez Oxford Academic). J’ai senti que j’irais trop loin si je demandais où étaient les tuberculoses. Je me suis dit que c’était pas grave, je les entendrais tousser. Je n’étais pas inquiète.

Marie-Thérèse m’a laissée là. J’ai inspecté la chambre telle Grenouille de Patrick Süskind, il n’y avait pas trop d’odeurs à se mettre sous le nez. Hypochlorite de sodium, salicylate de benzyle, acide chlorhydrique, butylphenyl methylpropional, hexyl cinnamaldehyde, benzisothiazolinone, alpha-isomethyl ionone, mon nez affûté de chimiste cherchait tout. Ben tout ça… bof. J’étais un peu déçue.

Le lendemain après-midi – le matin c’est le branle-bas de combat à l’hôpital, c’est pour ça que les visites ne sont pas autorisées, et que vous devez rester dans votre chambre – j’ai fait ma petite inspection du service. J’aime bien repérer le bureau des internes, le poste de soins, la configuration des chambres. C’était curieux, juste en face de ma chambre il y avait une petite salle détente, avec des canapés, ni trop jeunes ni trop vieux, et même un vélo d’appartement. C’était classe. Je me suis demandé si on pouvait faire des parties de jeux de société, ou des tournantes sur le vélo. Tous les virus zika, tuberculoses et autres fièvres inexpliquées se mélangeraient pour donner une grosse soupe de virus, bactéries, parasites, champignons, protozoaires, et si ça se trouve, en jouant comme ça on guérirait tous. Bon là je fantasmais. En fait y avait personne dans la salle détente. Elle semblait abandonnée depuis des années. Elle était poussiéreuse. On n’avait pas le droit de sortir de nos chambres ni de traîner dans le couloir sans raison, pour éviter la grosse soupe, justement.

Il y avait un petit fauteuil à l’orée de la salle détente, à quelque cinq mètres de ma porte. J’ai fini par remarquer qu’il n’était pas toujours vide. Une petite dame très âgée, maigre et chétive, cyphosée, aimait s’y poster. De là elle surveillait toutes les allées et venues du personnel. Comme je vous ai dit, elle n’avait pas le droit de rester là. Parfois des blouses blanches lui disaient : « Allez, il faut retourner dans votre chambre », ils la prenaient par-dessous le bras, la raccompagnaient. Cinq minutes après elle était de retour. D’un côté elle me faisait peur (la fameuse soupe), d’un côté elle attisait ma curiosité. Alors une fois je suis passée près d’elle, l’air de rien. Elle m’interpelle : « S’il-vous-plaît, vous avez l’heure ? ». Drôle ça. Je lui donne l’heure et je me re-cloître dans ma chambre. Une autre fois que je sors et qu’elle était là à son poste, rebelote : « S’il-vous-plaît, vous avez l’heure ? ». J’étais avec des copains dans la chambre cette fois. Alors j’ai trop eu envie de faire un test. J’ai fait sortir un copain, je lui ai dit de viser la mamie et de revenir. Elle avait redemandé l’heure. A deux minutes d’intervalle. C’était touchant. C’était donc ça qu’elle voulait, savoir l’heure. Elle devait compter les secondes entre chaque personne qui lui donnait l’heure, pour vérifier si elle en était toujours au bon timing. Et puis elle voulait peut-être savoir quelles personnes étaient dignes de confiance. Elle avait mis en place ce petit stratagème très malin il faut le reconnaître. Mais elle attendait quoi en fait ? Une visite ? Un médecin ? La guérison ? La…mort (vous savez, en noir avec sa grande faucille) ? Je ne suis pas restée en vacances assez longtemps pour trouver la réponse. Je me suis dit qu’elle attendait Godot. Dans toute cette soupe de virus, bactéries, parasites, champignons, protozoaires, elle avait mis sa petite pincée de poésie.

Lectures annexes :
Le Parfum, Histoire d’un meurtrier, (en allemand : Das Parfum, die Geschichte eines Mörders) de Patrick Süskind (préparez le Vogalène à côté pour la nausée)
En attendant Godot de Samuel Becket (pour ceux qui n’aiment pas lire, le livre est pas long)

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La douche chaude

Bon. Une fois j’ai été hospitalisée dans un bâtiment qui portait le nom de Maurice Mayeur (Docteur en Médecine, 1901-1964). J’étais entre de bonnes mains avec Maurice ; c’était le mailleur.
C’était l’équipe de soignants la plus sympa que j’aie connue. Ils étaient intelligents aussi. Je voyais un nouveau sénior tous les matins, qui décidait d’un nouveau truc tous les matins, mais c’était toujours intelligent. C’était par contre toujours le même infirmier de nuit qui s’occupait de moi. J’aimais bien ça. Que ce soit toujours le même. Et qu’il soit sympa. On avait à peu près le même âge. Il s’appelait Gabriel. Il était tout gringalet, le visage creusé par la maigreur. Je semblais en meilleure santé que lui. Il avait de belles boucles brunes, la peau claire, laiteuse. Il venait s’occuper de moi, et après il restait un peu, selon le temps qu’il avait, à discuter. Il était drôle. Je lui demandais : « Vous prenez pas plus de précautions quand vous êtes en contact avec les patients contagieux ? ». Il répondait en sautillant pour bien montrer qu’il était énergique : « Non j’ai des supers anticorps ».  C’était l’ange Gabriel.
Une nuit (une de plus) je n’arrivais pas à dormir, Gabriel était déjà passé. Il était peut-être 1h. Je me sentais sale. J’avais un peu froid. Alors j’ai eu envie de prendre une douche. Une douche chaude. C’était bon. J’avais l’impression de laver la maladie. Après la douche, il fallait se rhabiller. Comme tout le monde après une douche n’est-ce pas ? Sauf que, est-ce que vous avez déjà pris votre douche avec une perf’ et plusieurs poches ? Déjà une poche c’est pas évident, plusieurs, le défi est d’autant plus grand. Pour ceux qui ne connaissent vraiment pas, les poches ce sont les contenants dans lesquels sont les liquides qui passent en intraveineuse par une aiguille dans votre peau (=la perf’). Et pour que les liquides passent dans le bon sens (je vous épargne un petit cours de méca fu) les poches sont suspendues sur un genre de grand porte manteau à roulettes qu’on appelle pied à perf’. La première chose à faire quand vous arrivez en hospit c’est de choper (shoper ?) un pied à perf’ qui roule bien (c’est pas toujours gagné), ergonomique, réglable, pour passer les zones à plafond bas. Des performances du pied à perf’ dépendront votre degré de liberté pendant toute votre hospit’. Ce truc à l’hôpital c’est votre meilleur ami. Partout où vous irez vous traînerez le pied.
Donc d’habitude en prenant mon temps j’arrivais toujours à me rhabiller. Je suis une femme d’expérience comme je vous ai déjà dit. J’avais remarqué que ce qui était pratique c’était les hauts de fitness élastiques, avec les trous pour les bras bien échancrés. Un genre de Marcel quoi. Ça on ne vous le dit jamais avant une hospit’. Bref, chaque fois que j’arrivais à me rhabiller avec ma perf et les poches, je me trouvais super intelligente. De m’en sortir avec tous ces tubes. Pour essayer de vous expliquer au cas où vous avez pas vécu le truc, c’est un peu comme réussir à démêler deux kits mains libres qui traînaient dans votre sac, en choisir un, le passer dans votre manche de veste comme les enfants à qui on attache les gants pour pas qu’ils les perdent. Comme j’avais aussi une côte cassée, par solidarité avec moi, faites le coup du kit main libre en vous tenant droit comme en I, sans jamais vous pencher, sans contracter vos abdominaux, sans rigoler, sans pester.
Mais cette nuit-là, malgré toutes mes tentatives, je n’arrivais pas à me rhabiller seule après la douche. La douche avait duré longtemps. Il était presque 3h. C’est technique aussi de se laver avec un seul bras et une côte cassée (il ne faut pas mouiller le bras perfusé). D’où l’intérêt du maillot de bain de la photo, au cas où quelqu’un débarque pour une « tension-température » ou autre. Alors, assise sur le lit, torse nu, J’ai commencé à pleurer. Beaucoup. A chaudes larmes. Chaudes comme la douche.
Je ne comprenais pas. Je n’avais pleuré pour rien. Même pas quand aux urgences on m’avait dit qu’il fallait rester. Même pas quand on m’avait dit que ça pouvait beaucoup se compliquer (regard noir du Docteur). Et là, parce que je n’arrivais pas à m’habiller, je pleurais. Je ne me sentais plus du tout intelligente. Alors j’ai fait un truc que je faisais pas souvent. J’ai appelé. Il devait être 3h30.  J’espérais que l’ange vienne. Finalement c’est l’opposé de Gabriel qui s’est présenté, physiquement je veux dire. Un grand gaillard, très musclé, sans cheveux, que je n’avais jamais vu. Le genre de gars que vous imaginez en Marcel. J’ai eu honte. Je lui ai dit, minable, entre deux sanglots, en dissimulant tant bien que mal ma poitrine nue, tête baissée, que je n’arrivais pas à m’habiller. J’ai eu peur qu’il me dispute. De l’appeler pour ça, d’avoir pris une douche en pleine nuit, de pleurer pour rien. Il ne m’a pas disputée. Il m’a habillée calmement. Il m’a souri. Il m’a souhaité une bonne nuit. Il est parti. C’était un autre ange. Je ne l’ai pas revu. Je n’ai pas su son prénom. C’était peut-être Maurice.
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Le python de Philippe

Bon. C’est l’histoire du Docteur Philippe, qui était fan de pythons. Il avait trois terrariums chez lui. Il m’en parlait de ses serpents. Il me disait comme c’était excitant. Ils n’étaient pas venimeux. Donc pas directement mortels. Mais ils pouvaient s’ils voulaient, vous faire un gros câlin, vous entourer, de bas en haut, glisser depuis votre cheville jusqu’à l’aine, puis de la taille jusqu’au cou, et venir vous faire un gros bisou sur la joue. C’était un jeu dangereux. Mais Philippe était joueur.

Je blague.

Philippe était le sénior du service cet été-là. L’unique sénior ça veut dire le boss, pour ceux qui ceux qui ne sont pas familiers avec l’hosto. C’était sympa parce que l’été, surtout août, il n’y a personne à l’Hôpital, alors les Grandes Visites, dont vous avez toujours super peur d’habitude (super bien décrites dans « Carnet de santé foireuse« , de Pozla, allez voir car je ne ferai pas mieux et l’ouvrage est génial) et ben là elle deviennent toutes mignonnes, ambiance familiale. Des copains m’avaient offert une figurine en forme de cheval (cf. photo ci-dessous). Donc Philippe a commencé la Grande Visite par : « Pourquoi un cheval? » Un interne bien élevé a répondu à ma place : « Parce que le cheval c’est trop génial ». Il voulait s’assurer de valider son stage. Mais Philippe préférait quand même les pythons. Vous comprendrez après. Il me demande comment ça va : « Alors comment ça va Madame Manon ce matin ? ». Moi j’en avais marre, je voulais sortir. J’avais fait le point de mes symptômes sur un petit carnet. Telle l’interne qui voulait valider son stage, je fayotais. J’ai tout balancé à Philippe sur un plateau d’argent. J’avais passé une partie de ma nuit sur PubMed.

Philippe a un petit bouc bien taillé. Un peu démodé mais tout le monde dit que ça le rend sexy. D’ailleurs il ne le sait pas, mais son surnom c’est « Docteur Sexy », de la bouche de l’un de ses étudiants. Donc, mon plateau d’argent de symptômes sous le nez, il s’est caressé le petit bouc, avec des mouvements lents et répétitifs, pendant une bonne minute. Il réfléchissait.

« C’est une chronikatose »

C’est sorti comme un gros jet, direct du petit bouc. Puis silence. Puis : « J’y crois pas trop quand même ». Grillé. Pris en flagrant délit de tentative de rattrapage sur « l’annonce du diagnostic » dont on parle tant, le traumatisme des patients, etc… Moi je ne sais pas si j’ai été traumatisée mais j’ai trouvé ça stylé. Il avait sorti ça spontanément, sans rien contrôler, comme un éclair. Un éclair de génie.

Voilà, ce jour-là, cette belle matinée d’été, Philippe m’a fait cadeau d’un de ses pythons. Alors que tous les autres Chers Confrères avaient pataugé, n’avaient pas pensé, n’avaient pas osé, par excès de gentillesse, me donner en pâture à l’animal, lui l’avait fait. Classe. Beau Gosse. Sexy.

 

 

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Le Prince aux petits pois

Bon. J’étais hospitalisée. Promis un jour j’arrêterai de vous parler d’hôpital ; la maladie chronique c’est pas que ça. Mais quand même l’hôpital ça a ses perles. On dira ici pour les besoins de cet article, l’hôpital ça a ses pois, les perles et les pois étant assimilés à des sphères idéales de rayon quelconque R et de centre O. Pas ses poids. Ses pois.

Donc j’étais hospitalisée. « Soyons francs puisqu’on est en France », je me souviens d’un type perfusé en train de balader dans les couloirs, qui assénait ça au tout-venant, avec un petit air de folie néanmoins avenant. Donc, soyons francs, je me faisais chier, sans mauvais jeu de mots. Du coup, j’avais l’ouïe et l’œil à l’affût de tout. Vous visualisez votre gardienne d’immeuble portugaise ? Voilà c’était moi (je me permets ce vieux racisme à deux balles un peu car je suis une « binationale » et que j’aime profondément mes deux pays).

Je voulais les petits potins entre aide-soignants, infirmiers, brancardiers, séniors, internes, externes, savoir qui était quoi, qui faisait quoi avec qui. Et puis y avait les voisins. Les malades donc. Sans se connaître, sans même se voir, on savait vachement de trucs les uns sur les autres. On savait qui crachait, qui toussait, qui avait la diarrhée, qui vomissait, qui râlait, qui pleurait, qui criait. Un jour je me souviens m’être dit : « tiens lui il a moins vomi aujourd’hui, il va bientôt sortir ». J’aimais bien m’imaginer la tête qu’il avait celui qui vomissait. Son métier. Sa vie à côté de la maladie. Je m’imaginais tout. Du SDF au Prince du Qatar.

Un jour y a eu un nouveau voisin en face de ma chambre. En face c’est super comme spot parce qu’on entend beaucoup plus que vomi, pipi, etc : on entend la voix. Alors j’ai tout écouté. D’abord c’était un homme. Y a en premier l’interne qui est venu, il a fermé la porte, zut. Puis y a eu l’externe. L’externe c’est trop mignon. Genre ça oublie de fermer la porte. Et puis c’est tout timide. Ça vous dit : « Bonjour je suis l’externe » alors que potentiellement vous savez pas ce que c’est qu’un externe. Première définition du Larousse : « Élève qui suit les cours d’une école sans y coucher et sans y prendre ses repas. » Donc : il est mignon il suit les cours à l’hôpital mais il y couche pas et il y prend pas ses repas ? C’est pas ça en fait. Bref, peu importe. L’externe, aussi, il ne dit pas : « Je dois vous faire un toucher rectal », il dit : « Excusez-moi, si vous voulez, enfin, si vous acceptez, je vais vous faire un toucher rectal, c’est nécessaire, parce que l’autre jour y a un patient qui est arrivé, à qui j’ai pas osé faire de toucher rectal, il est reparti, et il est revenu cinq jours après avec un abcès gros comme un abricot, et je me suis fait engueuler, donc encore désolé, faudrait que je vous fasse un toucher rectal, s’il-vous-plaît, vous comprenez ». Voilà c’est vraiment trop mignon un externe. Bref, de l’externe je n’ai pas appris grand-chose non plus sur le voisin d’en face, ils ne parlaient pas assez fort.

Et là est venu le diét’ (éticien). J’aimais bien le diét’ il était super sympa. Il parlait fort. C’était pratique. Du coup il a commencé à parler bouffe avec le voisin d’en face : « Vous mangez quoi d’habitude ? vous avez des restrictions particulières ? ». Et le voisin de répondre : « Je commence chaque repas par une assiette de petits pois, j’aimerais continuer comme ça ici, je les aime ni trop chauds ni trop froids, tièdes c’est bien…blablabla…blablabla… ». Vous avez bien lu. C’était 1) un grand bavard 2) il commençait chaque repas par une assiette de petits pois ! Ha-llu-ci-nant. Je vous jure que j’invente pas. Ok parfois quand j’écris ici je mélange un peu les histoires, je rajoute un peu des descriptions où mon imagination de gardienne d’immeuble en kif logorrhéique se perd, mais là non. Le mec commençait chaque repas par des petits pois. Et il voulait que ça continue à l’hôpital. Je sais pas où ira mon blog, mais je me dis que ça pourrait devenir un petit guide pour les malades. Genre comment survivre à l’hôpital, à la MDPH, à CAP Emploi, etc…et ce Prince au petits pois, il aurait peut-être eu besoin d’un guide comme ça. Parce que, pour ceux qui savent pas, l’hôpital en fait c’est pas le Flunch. On choisit pas comme ça en mode posey. D’un autre côté c’était louable. Le mec, dans la rude et dure épreuve de la maladie, poursuivait droit dans ses bottes, le long fleuve tranquille de sa vie. Et voulait donc continuer la routine des petits pois. Moi j’ai cru que le diét’ allait lui expliquer. Que ce serait pas possible. Ben non. Le diét’ qui était super sympa a dit « Monsieur, on va voir ce qu’on peut faire, mais vous savez c’est compliqué…blablabla… ». Le diét’ était sympa et bavard aussi. Voilà. Évidemment, les repas sont arrivés, le Prince aux petits pois n’a pas eu ses petits pois. Il n’est pas resté longtemps. J’ai pas réussi à savoir si c’était à cause qu’il avait pas eu ses petits pois.

Lecture annexes :
La princesse au petit pois de Hans Christian Andersen. Rayon Jeunesse.
L’élégance du hérisson de Muriel Barbery. Une gardienne d’immeuble. Sublime.

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L’infirmière au bord de la crise de nerfs

Bon. Une fois j’ai eu la permission du 15 août. Pour ceux qui ne connaissent pas le concept, c’est très curieux. On peut être hospitalisé parfois un peu longtemps, les médecins savent pas forcément trop ce qu’on a, on change l’endroit de la perf (usion) sur les bras ou les mains tous les trois jours, on fait des bilans (sanguins) tous les deux jours, et puis bon, à un moment vient le week-end et là tout le monde se dit que la maladie ça suffit, on prendrait bien deux jours de pause nous aussi. Je dis tout le monde pour inclure aussi vos organes vous voyez ? eux aussi ils en ont marre. Donc l’idéal c’est que les organes soient à peu près au top au bilan du vendredi ou du samedi matin. Quand on leur parle vraiment bien fort ça marche. Truc de malade ça. Ensuite il y a l’apparence du malade. Mieux vaut avoir l’air pas trop malade en fin de semaine, pour commencer à séduire le médecin pour qu’il se dise :  » Hum j’vais peut-être l’envoyer en perm’ çui-là « . Perm’ pour permission donc. Par conséquent, le vendredi et le samedi matin, pour la visite du médecin, si vous êtes une femme, je vous conseille de vous maquiller un max. Si vous êtes un homme, n’hésitez pas à sortir le costume. A la question fatidique : « Alors comment ça va ?« , vous répondez avec un grand sourire : « Très bien Docteur ». Pas grave si vous simulez un peu. On verra ça lundi. Lundi vous redeviendrez tout rabougri. Pour les aspects techniques : vous revenez le dimanche soir en fait. Et votre chambre est « à vous » pour tout le week-end au cas où vous allez pas bien. Vous avez l’impression de louer deux appartements. Vous vous sentez riche.
Du coup cette année-là, le 15 août tombait un lundi. C’était vraiment cool. Parce que donc on pouvait demander/le médecin pouvait décider, de non pas revenir le dimanche soir mais le lundi soir ! C’est pas trop bien ça ?! La maladie pouvait prendre son 15 août en plus du week-end habituel ! Genre grâce au hasard du calendrier, vous étiez guéri un peu plus durablement. Franchement merci le 15 août. Bon ça c’était l’explication du concept de perm’ pour les novices.
Je voulais en fait vous parler ici de cette infirmière qui m’a préparé ma sortie en perm’. Elle était grande et mince. Elle était ni jeune ni vieille mais elle avait quand même tous les cheveux blancs. Elle ne parlait pas. Même pas pour dire : « Bonjour, tension-température« . Elle n’était pas méchante. Une fois je lui avais demandé un verre de plus pour un ami qui était resté après 20h, elle me l’avait donné. Donc elle n’était pas méchante (les visites sont jusqu’à 20h, elle aurait pu mettre mon ami dehors à coup de pied à perf’). Ce samedi avant le 15 août donc, elle est arrivée comme prévu avec un grand sachet transparent, façon gros pochon de weed pour les connaisseurs, avec les médicaments nécessaires pour ma permission. En plus elle m’avait fait un petit papier où elle avait écrit à la main. Samedi, dimanche, divisés en matin, midi, soir, et à côté mon menu pharmaceutique. Elle avait une très belle écriture. Mais elle avait pas écrit mon lundi. Ce fameux lundi bonus du 15 août. Alors j’ai eu peur. J’ai craint pour ma liberté. Et j’ai dit : « Mais en fait ma perm’ c’est jusqu’à lundi ». Elle a serré ses mains fort sur le lit, elle a soufflé, elle a regardé ailleurs, et elle a parlé : « Oh mais j’ai pas que ça à faire moi ». Pour la première fois j’avais entendu sa voix. Elle était ni jeune ni vieille, mais elle était fatiguée. Elle n’était pas méchante. Elle ne m’avait pas regardée en parlant. Ce n’était pas à moi qu’elle parlait. Je sais pas à qui elle parlait. J’ai voulu l’aider. Je voulais surtout pas perdre mon jour de liberté. J’ai commencé à dire : « Si vous voulez je me débrouille pour lundi, j’ai ce qu’il faut à … ». J’ai pas eu le temps de finir, qu’elle avait déjà tourné les talons. J’avais vraiment ce qu’il fallait à la maison. Elle est revenue dans ma chambre, une dizaine de minutes plus tard. Le pochon de weed était davantage rempli mais c’était toujours pas de la weed. Sur sa feuille avec la belle écriture, elle avait rajouté le lundi, avec la même belle écriture. Écriture soignée, appliquée, de quelqu’un de calme, qui ne tremble pas. Elle a dit : « Voilà » et à nouveau elle a tourné les talons. Je sais pas si elle a entendu mon « merci ».
Je suis partie en permission moins fière que prévu. Je me suis dit que je n’étais pas la seule à avoir besoin de liberté.

PS : Le super slogan de l’association le rire médecin, des bénévoles qui se déguisent en clown pour faire rire les enfants à l’hôpital : La maladie ne prend pas de vacances, nous non plus.

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