Le passage aux aveux

Bon ben voilà, on y est.
J’aurais pas fait 3 ans de blagues sur le blog qu’il est déjà temps de vous révéler la vraie raison qui m’a amenée à écrire ici.

C’était une hospitalisation aux maladies infectieuses. Le truc à la mode maintenant, mais de pouilleux jusqu’à récemment. J’étais censée être une patiente à l’isolement « contact ». J’avais une chambre individuelle mais je n’ai jamais été à l’isolement. J’ai nettoyé la cuvette sale des toilettes à mon arrivée, je regardais chaque jour (sauf le week-end) la dame du ménage passer une vieille serpillère au sol en 20 secondes chrono. Ma porte de chambre était censée être fermée mais elle restait ouverte. Les infectés, on devait rester dans nos chambres mais ça n’était pas respecté. Soit les patients étaient très ahuris donc pas gérables, soit on nous envoyait prendre l’air ; même une fois j’ai été envoyée aux admissions de l’hôpital pour faire des papiers. Moi, infectée, contagieuse, traversant tout l’hôpital avec mon pied à perf cassé, potentiellement répandant ma maladie pour des formalités « administratives qui aurait pu être reportées » (vous comprenez là mon message subliminal oui ?) . J’étais naïve couillonne confiante obéissante heureuse de sortir. Des masques aux maladies infectieuses ? Jamais vu. Des gants ? Presque jamais. Le geste barrière ? Un petit coup de pousse-pousse de solution hydro-alcoolique après l’entrée dans la chambre, et basta. Devant mes questions d’étonnement, toujours la même réponse des soignants du service : « aux maladies infectieuses on a de très bons anticorps ». Sans commentaires. Je repense encore aujourd’hui à chacun d’entre eux.

Puis, pendant cette même hospitalisation infectieuse, question logistique dans le CHU, j’avais été déplacée vers un autre service de médecine clinique, qui lui, réservait une aile de couloir aux infectés. Cette fois les portes restaient plutôt fermées. Il n’y avait pas que un coup quotidien de vieille serpillère au sol. C’était changement intégral de draps, quotidien, 15 minutes pour l’aide-soignant à javelliser la chambre avec une efficacité gestuelle hors norme. 15 minutes, ça laissait davantage de temps pour échanger qu’un vieux coup de serpillère. Alors j’ai questionné sur pourquoi, avec ma même maladie infectieuse, dans le même hôpital, les protocoles d’hygiène n’étaient pas les mêmes. Ra cet aide-soignant, encore maintenant je pense à lui. Consciencieux. Il m’a tout détaillé, en même temps qu’il continuait de « faire la chambre ». Et il m’a donné la cerise de la pièce montée qui se préparait dans ma tête : même lui avec ses 15 minutes de javel, il ne respectait pas le protocole. Ça lui était tout simplement impossible de respecter le protocole, il n’avait juste pas le temps. Il m’a demandé de ne pas répandre ses révélations. Il avait peur. Moi qui avait été par le passé habilitée « confidentiel défense », lui me livrait terrorisé à ses risques et périls son véritable « secret défense » (=le degré au-dessus du « confidentiel défense »).

Voilà. Il y a 3 ans et demi, j’ai survécu à cette maladie infectieuse au taux de mortalité se comptant en dizaines de %. C’était plein été, il n’y avait pas de grippes qui épuisaient l’hôpital. J’ai eu bien chaud, dans tous les sens du terme.

C’est vraiment là que j’ai découvert l’hôpital que je croyais si bien connaître (et j’avais déjà repéré de grosses failles). La plus grosse claque de mon existence.

C’est là que j’en ai eu gros sur la patate, que j’ai broyé beaucoup de colère. Après la colère (longtemps après), j’ai réfléchi. J’avais besoin d’un moyen de communication pour témoigner de ce séjour guerrier, qui ne dépendrait ni d’éditeurs, ni de journalistes, ni de réseaux de distribution, ni d’associations de patients, ni de représentants des usagers des hôpitaux, ni de bureaucratie, ni de règles, ni d’argent, ni, ni…

J’ai préparé mon coup d’état minutieusement depuis 3 ans. J’ai caché ma colère sous de la légèreté, du rire, du politiquement correct, des références littéraires et philosophiques que j’aime et qui attirent l’attention des Grands Responsables. Parce que des patients idiots qui râlent, il y en a à la pelle (c’est étonnant ?), et ça soûle tout le monde tellement ils ne comprennent rien ces roturiers sans diplômes.

J’ai donc entamé un blog de patiente « rangée » à la Simone de Beauvoir, j’ai fabriqué un pantin de patiente modèle, compliante, rigolote, sympa, réaliste, qui reste bien à sa place. J’ai léché pas mal de bottes, pour accroître mon audience. On m’a dit : « Tu prends toujours le mauvais sort avec humour, comme c’est plaisant ». Mais je suis aussi rangée que Simone de Beauvoir était également rebelle. Et, d’après Sartre et moi, l’enfer c’est bien les autres, et encore plus les Grands Autres.

Alors c’est vrai, j’accueille mon sort personnel avec un certain humour. Mon corps est mal foutu, c’est la fatalité, c’est la génétique. Mais qu’on fasse croire aux malades qu’on va bien les soigner, qu’on fasse croire aux soignants qu’il n’y a pas le choix de faire autrement, CE N’EST PAS LA FATALITE.

Alors oui d’accord peut-être, l’hôpital ça n’était pas mieux avant, c’est-à-dire il y a 1 siècle, 2 siècles, 10 siècles, 20 siècles.

Ce qui est sûr c’est que maintenant, c’est n’importe quoi.

Plus tard, ça PEUT être différent. Ça DOIT être différent. Je ne serrai peut-être pas là sur le blog pour le raconter. Pour continuer de flatter les Corbeaux qui étaient/sont/seront sur leurs arbres bien perchés.

Qu’on cesse de détruire l’Hôpital, ce sont mes dernières et uniques volontés.
Qu’on construise enfin un Hôpital en bonne santé.
Plus jamais de carabistouilles croquignolesques.

Ce blog que vous avez cru drôle et léger, il était manipulateur.
Ce billet criminel, c’était mon objectif, depuis le début.

J’ai tout prémédité. Depuis le début.
Je ne regrette pas mes actes.
Je suis prête à la perpétuité.

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