Freddy le taxi

Bon. Aujourd’hui c’est Fredo qui m’a emmenée à l’hôpital.

Ça faisait longtemps que je me disais qu’il fallait que j’écrive un billet de blog sur ces chauffeurs de taxi géniaux qui nous emmènent à l’hôpital, quand on est trop malade pour y aller par nos propres moyens.

Ces taxis qui nous emmènent à l’hôpital sont un peu particuliers parce qu’ils ont accepté de faire des courses « conventionnées », c’est-à-dire remboursées par la sécurité sociale. Selon les situations, vous avancez les frais ou pas, et dans tous les cas il y a un gros tas de paperasse à se coltiner pour le chauffeur, un peu éventuellement pour le patient ; mais c’est quand même un bon système, merci l’assurance maladie française. Comme il y a de la paperasse à se coltiner, rares sont ces chauffeurs de taxi qui acceptent de faire des courses « conventionnées ». En outre, les chauffeurs de taxi peuvent aussi, comme plein de gens, ne pas aimer transporter des malades. Eh oui, les malades se plaignent, ne sont pas drôles, pire ils vomissent. Et dans tous les cas, ils sont tristes.

La tristesse, voilà de quoi je voulais vous parler ici. A chaque fois que j’ai pris le taxi, le monsieur (à chaque fois c’était un monsieur) était d’une gentillesse, d’une délicatesse, d’une politesse, hors norme. Il pose quelques questions, très délicates. Demande si on va souvent à l’hôpital, si c’est grave ou pas. Si vous ne pouvez pas parler parce que vous avez trop la nausée, c’est possible aussi. Et c’est possible aussi de se faire remonter le moral, de rire. C’est très important ça, parce qu’on est souvent triste d’aller à l’hôpital.

Une fois je suis tombée sur un sacré numéro. Je l’avais attendu près de 2h à l’accueil de l’hôpital. L’hôtesse d’accueil m’avait lancé « vous voulez un taxi ?! eh bien j’espère que vous êtes patiente ! ». Je n’avais pas compris de suite. Évidemment j’étais une patiente, j’étais à l’hôpital. Évidemment j’allais être patiente et attendre, puisque j’étais trop malade pour rentrer chez moi toute seule comme une grande. Souvent les gens croient que rentrer en taxi c’est méga-classe-luxe-de-fou. En fait non, la méga-classe-luxe-de-fou, c’est d’être en assez bonne santé pour aller se frotter aux congénères dans les métros qui nous transforment en sardines en boîte à l’huile de sueur. Ça c’est la méga-classe-luxe-de-fou. Mais bref je m’égare.

Alors une fois, je suis tombée sur un sacré numéro de chauffeur. Le numéro gagnant. L’âge grisonnant, la sagesse qui fait la voix rauque, la posture qui inspire la confiance. Le chauffeur m’a raconté la plus belle de ses histoires. Sa plus longue course de sa vie de taxi. Alors qu’il débutait dans le métier, un petit matin à l’aube il roulait dans Paris, quand sur le Pont Alexandre III, un petit monsieur trapu avec des lunettes noires l’avait hélé, et était monté dans sa voiture. C’était l’été, il faisait beau et très chaud. Le trapu aux lunettes noires avait dit « Rome ». Et le taxi avait roulé sans s’arrêter jusqu’en Italie. J’ai su tous les détails, la peur, l’excitation, le silence, l’argent, les conséquences administratives, l’amour de son métier. Il m’avait fait oublier que je sortais de l’hôpital. C’était trop cool.

Je me disais que ces types étaient vraiment chics, jusqu’à ma rencontre ce matin avec Fredo. Fredo c’était l’antinomie du taxi. C’était le côté obscur de la voiture. C’était l’inconscient pervers de tout l’univers. En trois mots, Fredo m’a envoyée au plus profond du trou, et j’ai pleuré pendant toute la course jusqu’à l’hôpital. Eh oui, parce que quand on va à l’hôpital, on est triste.

Après avoir vécu la mauvaise expérience avec Fredo, j’aurais été capable de tout endurer dans le métro. Même avec mes trop lourds fardeaux. Mais à l’hôpital la fée-docteure m’a consolée, et a fait venir pour moi, un nouveau carrosse.

C’était celui de Freddy. Freddy était super gentil, comme tous ses autres Chers Confrères d’avant Fredo. Il savait que quand on allait à l’hôpital, on était triste. Et aussi quand on en sortait. Il savait que derrière toute la paperasse des courses conventionnées, se cachait beaucoup de tristesse. Dans sa formation de taxi, il n’y avait pas de module « être gentil avec le client, encore plus s’il est malade ». Mais, Freddy m’a dit qu’il était heureux d’être gentil. Et d’aider comme il le pouvait, les gens tristes. Pour qu’ils soient un peu plus heureux.

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