Les gougères médicales

Bon bon bon. J’étais à cette soirée. Une petite soirée avec un nombre de gens raisonnable, où la musique n’est pas trop forte, les toilettes en quantité et bien isolés, et où il y a de nombreuses places assises un peu partout, qui permettent de s’asseoir discrètement, como quem não quer a coisa (petite dédicace aux lecteurs lusophones). Bref, une petite soirée qui s’annonçait bien sympa.

J’aime les petites soirées bien sympas où l’on rencontre de nouveaux gens. L’une est journaliste, l’autre fait de la mise en rayon, l’une vient de démissionner de la police pour se lancer dans l’enseignement de la musique à l’hôpital, l’autre travaille au péage, l’une est sophrologue, l’autre est médecin. Ah voilà celui que je voulais, le médecin !

Pour une fois que je ne suis pas dans le cabinet du médecin, je passais une bonne soirée avec plein de gens sympas, dont un médecin. Il faut savoir que dans ces cas-là, le médecin c’est comme s’il était habillé tout en blanc en boîte de nuit, le pauvre. C’est comme si sa blouse blanche lui collait à la peau. Il est fluorescent, je ne vois que lui. En fait, il m’intrigue.

Je me demande si lui aussi, il observe les autres gens de la soirée comme des patients en puissance…
La journaliste ne cacherait-il pas une petite dépression liée à la précarité de la profession ? Celui qui fait de la mise en rayon n’aurait-il pas une sciatique couplée à des lombalgies ? L’ex-policière, un complexe de domination enfin assouvi ?
Celui du péage, une tendinopathie chronique du triceps voire même une névralgie cervico-brachiale ?
La sophrologue, une inflammation des cordes vocales à force de parler toute la journée ? Et lui, le médecin, il avait quoi ?

Alors j’ai discuté avec plein de monde, puis, de siège en toilettes et de toilettes en siège, je me suis retrouvée face à la table des boissons, en train de chercher quoi boire, en même temps que le médecin.

J’ai initié : « Je te sers quelque chose ? »

Bon sang, j’allais servir un truc à un médecin, alors que d’habitude ce sont toujours les médecins qui me servent des médicaments.

Puis j’ai continué : « Tu fais quoi toi sinon dans la vie ? »

Soyons clairs, je déteste cette question, on en reparlera dans le blog. Mais là bien sûr, c’était pour les besoins de la chose. C’était como quem quer a coisa (j’en rajoute une petite couche pour les lecteurs qui aiment mes petites allusions sexuelles, rooo). Et puis c’est une question assez banale.

Alors il m’a dit : « Je suis médecin. »

J’ai pris un air intrigué. Genre : je-ne-sais-pas-trop-ce-que-fait-un-medecin-tu-peux-préciser-stp ? Ça a bien marché. Il a commencé par me dire qu’il N’EN POUVAIT PLUS des patients. Bon bon bon. Parce qu’ils étaient tous tellement cons souvent. Bon bon bon. Puis il m’a raconté sans s’arrêter plein d’anecdotes plus ou moins croustillantes. J’ai remarqué que les médecins trouvent toujours croustillant ce qu’un non-médecin ne trouve pas forcément croustillant. Moi j’aimais bien en fait, tout ce qu’il me mettait sous la dent. Je faisais des « Oh ! » des « Ah ! » et des « Ah bon ?! »

Il m’a dit qu’il avait fait des gougères, il me les a montrées. Elles avaient l’air bien croustillantes. Puis malheureusement il a pris congé poliment ; il était 23h, il était épuisé, il venait d’enchaîner la soirée sur une garde de 24h aux urgences de l’hôpital. Voilà c’était ça, le problème médical, du médecin. Il était à bout. C’est le seul petit burn-out que j’ai diagnostiqué dans la soirée.

J’ai regardé les gougères. Elles n’étaient pas belles. Néanmoins, elles m’attiraient terriblement. Elles me fascinaient. Elles avaient été confectionnées par le médecin. De même qu’il avait palpé, tâté les patients, il avait pétri, malaxé, les gougères. De même qu’il avait guéri les patients, il avait guéri les gougères.

J’en ai mangé une, puis deux, puis trois, puis dix, puis vingt. J’avalais frénétiquement toutes les gougères médicales de la soirée. Je voulais de la guérison, plein la bouche, plein la panse. J’ai fini le plat. Je léché avec mon doigt les petites miettes qui restaient.

J’ai jeté un œil rapide à la salle pour voir si j’avais été démasquée. Rien. Personne n’avait diagnostiqué mon problème. De tous les gens à cette soirée, j’étais la seule qui voulait guérir.

C’était bon bon bon !

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