À 8h, ma morphine. À 20h, ma morphine. À 8h, ma…

Bon. Vous avez peut-être vu/lu cet article récent du Monde intitulé : « A 8 heures, ma morphine. A 11 heures, ma morphine. A 14 heures, ma morphine… » : dans l’enfer de l’addiction aux opioïdes. Un article réservé aux abonnés ; et c’est tant mieux. Le problème, c’est que ce titre putaclic a fait le taf, il a été grave bien été retweeté, tout le monde de s’offusquer que ça y est « tout ce qui se passe aux Etats-Unis finit par arriver en France », que oui oui les français sont les plus gros consommateurs de somnifères donc forcément il fallait qu’ils se mettent à la morphine, que ma tante Michelle pour une simple douleur d’oreille on lui a prescrit du paracétamol-codéiné on a failli faire d’elle une grande droguée c’est absolument scandaleux les médecins prescripteurs sont des inconscients et les patients consommateurs sont des imbéciles. Voilà, si vous n’êtes pas abonné au Monde (comme moi), je vous ai probablement résumé ce que vous avez peut-être raté.

J’ai envie de vous raconter « ma version » :

Il y a 12 ans, la maladie s’est déclarée. J’ai très vite eu très mal. Je n’y connaissais rien à rien, je n’avais jamais touché un paracétamol de ma vie, j’avais toujours joué à la grosse dure qui n’est jamais malade, qui méprisait les Docteurs et les malades ces espèces fragiles, et qui n’aimait guère les piqures. Mais quand la maladie s’est déclarée, bien sûr tout ça a changé. Le Docteur qui voyait que je me brulais la peau avec du chaud tellement j’avais mal, m’a d’abord proposé du paracétamol-codéiné, ou du tramadol. J’ai pu continuer mes études, me brûler un peu moins fort.

Et puis les douleurs sont devenues beaucoup plus violentes, un joli jour de mai dont je me souviendrai probablement toute ma vie. On a cru à un problème aigu, on est allé aux urgences, on a fait plein d’examens. Et c’est terrible, le temps continuait de passer, et la douleur restait. Quand on me demandait depuis combien de temps « j’avais mal » et que je répondais « 2 mois », on était soulagé. Ce n’était pas grave, cette douleur longue indiquait qu’elle n’était pas le signe de quelque chose qui me ferait mourir. Ce type de réactions de Docteurs commençait à m’inquiéter sérieusement. Je n’envisageais pas du tout de continuer de vivre avec un tel niveau de douleur. Ce n’était pas possible tout simplement, ne pas pouvoir être debout, ne pas pouvoir être assis non plus, ne presque plus dormir, etc. Clairement, j’envisageais de me donner la mort. C’était pour moi une décision raisonnée et raisonnable, dommage certes parce que j’aimais la vie, mais quand ce n’est plus possible de vivre alors il faut mourrir, il me semble. Heureusement, j’ai quand même cherché sur internet (ce fameux internet qu’on critique tant), et j’ai découvert qu’il existait des « centre anti-douleur ». J’ai trouvé ça très curieux, mais je me suis dit que c’était peut-être une alternative à la mort. Il s’est passé 10 mois entre le jour du début de ma douleur atroce, et mon rendez-vous, et probablement 6 mois entre ma prise de rendez-vous, et mon rendez-vous. J’avais appelé tous les centres de ma zone géographique élargie, et j’avais pris le premier qui répondait au téléphone et qui me donnait un rendez-vous. Le centre anti-douleur m’a fait revivre. J’ai commencé des médicaments qui n’étaient pas des morphiniques de palier 3, parce que le médecin procédait avec prudence. J’ai donc gardé mes codéine ou tramadol de palier 2, potentialisés par d’autres molécules. On prescrit souvent 2 molécules pour la douleur, justement pour entre autres amoindrir le risque d’addiction. Pendant 3 ans, j’ai bien vécu.

Et puis la maladie s’est nettement aggravée. Il a fallu changer beaucoup de traitements, certains devenaient incompatibles entre eux, et j’ai commencé la méthadone, pour soigner ma douleur, parce que c’est un morphinique de palier 3. Plein de gens m’ont regardé alors avec des gros yeux : la méthadone, c’est une molécule qui a une Autorisation de Mise sur le Marché pour soigner les addictions à des substances toxiques. Et puis un jour, il a fallu changer pour de la sophidone, un autre morphinique. Le pharmacien, celui-là même qui m’avait dans un premier temps refusé la délivrance de ma méthadone, (c’est interdit) ne me voyait désormais plus comme une junkie mais comme la malheureuse éponyme de l’héroïne de la Comtesse de Ségur. Eh oui, parce que la sophidone, elle, a une Autorisation de Mise sur le Marché pour des douleurs liées au cancer. Et puis ensuite, j’ai pris de l’oxycodone. La même oxycodone à laquelle était devenu dépendant le Docteur Maury, de Un si grand soleil.

Je prends en réalité mon oxycodone à 11 heures, parce que je n’arrive pas à me lever à 8h comme la dame du Monde, parce les nuits sont quand même difficiles, puis je prends mon oxycodone à 23 heures ; 12h après, parce qu’un comprimé dure 12 heures. Je prends toujours la même dose. Jamais je n’ai eu l’envie ni le besoin d’en prendre davantage. Nous sommes NOMBREUX à avoir été littéralement SAUVÉS par la morphine (ou les dérivés morphiniques, c’est la même chose). Les préjugés, et les clichés, entretenus et/ou développés comme dans l’article du Monde stigmatisent les gens qui souffrent et qui ont BESOIN de morphine (ou de dérivés morphiniques, c’est la même chose). Sur le principe, on s’en fout complètement de vos articles putaclic et de votre onanisme intellectuel combiné à un appât du gain dégoûtant. On survit à la douleur avec un grand D, alors ces bassesses…en revanche, pensons aux prescripteurs, qui désormais vont peut-être hésiter, avant de sauver une vie. « Ah j’ai lu dans Le Monde que la dame (forcément en plus, une dame, pas un monsieur) allait devenir dépendante, alors je la soigne un peu moins bien c’est vrai, mais ce sera mieux pour elle ». On ne peut que les comprendre.

Merci de cesser de salir la réputation de médicaments qui assistent des personnes parfois en danger, des médicaments qui sauvent.

Il est 19h, je prendrai ma morphine à 23h, comme tous les soirs. Jamais avant, jamais plus que la dose prescrite.

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