Mais pourquoi le « patient-expert » ?

Bon. Je risque de faire un paquet de pas contents avec ce billet. D’habitude c’est vrai que je me contente de raconter des histoires drôles, et je n’aime pas trop prendre parti, m’insurger contre des pratiques X ou Y. Mais j’ai quand même un organe qui s’appelle le cerveau et j’essaye de réfléchir quand je ne comprends pas quelque chose. Et là, je ne comprends pas.

C’est quoi en fait ce concept récent de « patient-expert » ? C’est un patient qui sait beaucoup de choses a priori. Et alors ? Il faut le traiter autrement ? Je ne crois pas. Du coup pourquoi il a besoin d’un nom spécial ? Pour le distinguer des autres ? Il y a les « experts » et les « non-experts » ? Les « cérébrés » et les « non-cérébrés » ? (c’est une copine médecin qui m’avait appris ces mots)

Moi je suis pour que tous les patients soient experts, s’informent, lisent ; ça ne peut que faire avancer le schmilblick. En fait, de façon générale, je suis pour la diffusion du savoir.

Mais ce qui m’afflige au plus haut point, et qui en choque plus d’un, (vous pouvez faire le test dans votre entourage, ça marche mieux avec les non-malades) c’est que pour avoir le « titre » de patient-expert, il faut VALIDER UN DIPLÔME. Allô quoi ?! Merci Nabila. Là je diagnostique une grosse diplômite généralisée… Je me permets de le dire aussi parce que je connais un peu la maladie de la grosse diplômite parce que je suis même atteinte de diplômite (donc bac+8) et je pense que ce n’est pas bien comme maladie.

Bon et puis, c’est quoi les stat’ d’embauche à la sortie du diplôme ? Parce que un diplôme, en principe, c’est pour un travail, en principe… Ce n’est pas comme si tout les hôpitaux et cliniques de France et de Navarre embauchaient à tour de bras des « patients-experts ». C’est vrai que ce serait bien. Il y aurait le métier à la sortie, évidemment proposé aux yeux de tous sous forme d’offres d’emploi, et pas des petites magouilles de copinage entre assos ou autres, et par conséquent il y aurait la formation correspondante. Là OK. Mais ça, c’est le monde des Bisounours.

Alors c’est vrai qu’être malade chronique c’est souvent comme un vrai travail tellement ça prend du temps ; c’est vrai qu’il y a une vraie compétence qui est acquise. Et avec le temps cette compétence elle pourrait être en effet « professionnelle » si elle était échangée contre de l’argent. Exemple : quand moi, malade depuis 10 ans, je sais que pour joindre Marie-Christine au téléphone, la secrétaire du Docteur D du CHU, il va me falloir une matinée entière, il va falloir jouer de mille subterfuges, comme appeler la voisine de Marie-Christine pour savoir si celle-ci est partie faire pipi, c’est une compétence évidente que le nouveau malade tout naïf n’a pas. Mais cette compétence, elle s’impose d’elle-même, elle n’a pas besoin d’être « validée ».

En plus, ça pose un problème au sein même des malades. Ça induit une hiérarchisation. Moi par exemple, pas patiente-experte diplômée, ou patiente pas experte pas diplômée, va savoir, j’ai déjà voulu aider, humblement, avec toute ma grande expérience, et on m’a déjà dit : « Ah salut, tu veux être bénévole ? T’es patiente-experte ? Ah ben non désolée, ça ne va pas être possible, nous on ne prend que des experts ». Pfiouuuu. Même pour du bénévolat = du travail gratuit, il faut un diplôme.

Donc voilà. Vous êtes malade. Bienvenue dans ce nouveau monde. Mais vous voulez vraiment avoir la légitimité ? Auprès des soignants ? Auprès du médecin ? Auprès des institutions ? Auprès de la société ? Auprès des autres malades ? Alors payez pour un diplôme. Cher. Tant pis si vos finances s’amenuisent déjà avec les AT (=Arrêts de Travail). En dépit de la fatigue de la maladie, venez vous asseoir sur une chaise pendant 100 heures. Et rédigez un mémoire. Et passez des examens.

Bref. Vous êtes malades ? Alors prouvez-le !

PS : j’ai lu pas mal de choses sur le sujet, et entre autres je suis tombée sur cette très juste interview de Cynthia Fleury, qui a une chaire de philosophie à l’Hôpital Hôtel-Dieu à Paris (pour les non-universitaires qui savent pas ce qu’est une chaire, c’est un peu comme un chaise, un bureau quoi). Il y a juste la partie sur le patient-expert qui me semble une aberration, à moi comme à la journaliste Sylvie Logean d’ailleurs.

PPS : sinon, pour une vision plus modérée du sujet, et non moins intéressante, sur le blog de Catherine Cerisey, un article ici.

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